Propagande de guerre occidentale déguisée en livre pro-désarmement

Autant j'ai globalement bien aimé les œuvres historiques de Ken Follett que j'ai lu, malgré le coté un peu mièvre de leurs personnages et parfois un peu lourdement moralisants de leurs récits, autant j'ai totalement détesté ce livre, tant j'ai trouvé malhonnête la manière dont il se présente.

En résumé à en croire son 4ème de couverture et la plupart des résumés il s'agirait pour Follett de montrer qu'on risque d'être entrainés dans un conflit nucléaire sans le vouloir en suivant des dynamiques d'alliances similaires à celles de la 1ère guerre mondiale. Ce qui m'apparait un projet extrêmement salutaire à l'heure où les mouvements pour le désarmement ont quasiment disparus tandis que tous les traités sont en train d'être remis en cause, où de plus en plus de monde semble croire aux mérites de la dissuasion nucléaire pour éviter une guerre mondiale, malgré celle vers laquelle on s'achemine lentement.

Seulement en nombre de pages c'est même pas le premier sujet de ce bouquin. Quasiment autant sont consacrées à une intrigue africaine n'ayant qu'un rapport lointain avec la sauce où un bon agent américain suit la piste de djihadistes sahariens, récit déployant à peu près tous les clichés possibles sur ces monstres dénués de tout sentiment (tandis que l'américain, lui, est évidemment le type de gentil héros un peu mièvre Follettien, qui vivra même une belle histoire d'amour avec une indigène qu'ils menaçaient de transformer en esclave sexuelle, naturellement bonne chrétienne, faut quand même pas pousser).

Une intrigue africaine qui montre aussi au passage un président/dictateur africain ami des occidentaux détournant un drone américain pour commettre un attentat dans un pays voisin en représailles de ceux des islamistes (la principale raison pour laquelle ces innocents drones américains en viennent parfois à tuer des civils, c'est connu), déclenchant un début de guerre que les gentils occidentaux parviendront heureusement à écourter.

Une seconde catégorie de contenu, au moins un peu plus en lien avec le sujet, est consacré à la politique (surtout intérieure) chinoise, sur laquelle Ken le survivant de la guerre froide aligne à peu près encore plus de clichés, frisant le contre-sens complet. Il la décrit en gros comme l'affrontement d'une vieille garde Maoïste obsédée par l'idée de prendre revanche contre l'occident pour les torts historiques faits à la Chine qui semble décidée à mener le monde à sa perte, tandis qu'un jeune ministre branché (héros follettien également très amoureux de sa femme et gentil au point de partager des secrets d'état avec les américains) et sa petite faction d'autres jeunes politiciens tente de limiter les dégâts, conflit difficilement arbitré par un dirigeant faible. A peu près l'exact opposé de l'évolution chinoise récente où c'est de jeunes loups nationalistes aux dents longues aux ordres d'un dirigeant à la volonté indiscutable qui mènent leur pays vers des positions conflictuelles (tandis que la vieille garde Maoïste, qui se souciait surtout de maintenir pépère ses privilèges via une direction jadis plus collégiale du Parti, a déjà été largement poussée hors de la partie, les grandes purges du début des 2010 contre Bo Xilai et compagnie marquant son coup de grâce).

A part ça il y a aussi pas mal de pages consacrées à des moments de vie de la présidente américaine (personnage semblant basé sur Hillary Clinton, compétente, sociétalement plutôt progressiste et tout, à part qu'elle est républicaine, ce qui met face au plus grand mystère du livre, comment les républicains américains en viendraient ils à élire une personne pareille ?), Laquelle a des problèmes de couple dysfonctionnel et de fille woke et amatrice de substances illicites, qui semblent inspirés des moments les plus bouche-trou de séries comme The West Wing (en étant gentil, Sorkin sait écrire des personnages un peu plus originaux).

Tous ces efforts pour humaniser celle qui, au final, fera passer un conflit à centaines de milliers de victimes à conflit en faisant des "dizaines de millions" (selon les estimations plutôt ultra-optimistes du livre, qui oublie complètement les accords de défense Russo-Chinois ainsi que l'hiver nucléaire dans ses équations).

Enfin, au bout d'environ 500 pages, il commence à se passer quelque chose en rapport avec le sujet, une crise en Corée du Nord qui devient vite internationale. Et un engrenage où typiquement les deux camps se retrouvent entrainés par de plus petits alliés (manifestement suicidaires pour la plupart, notamment la Corée du Sud qui apparait l'acteur le plus débile de ce conflit où elle a tout à perdre) vers de plus en plus de représailles de plus en plus meurtrières.

En parlant de petits pays, hors Japon et Corée du Sud forcement aux premières loges, toutes les puissances "moyennes" (catégorie où Follett semble étrangement classer les autres puissances nucléaires dont même la Russie) existent à peine dans ce récit centré sur Chine vs USA (tout juste y a t'il de vagues mentions de leur soutien à des tentatives de médiation, et un personnage d'agent français dans l'intrigue africaine).

Après en soi, c'est vrai qu'à la vitesse où tout peut dégénérer, il est logique que personne n'ait trop le temps de réagir. Mais sachant que les tensions commencent à monter bien avant, c'est à croire qu'il n'y a que des Macrons à la tête de tous les pays du monde (sauf les asiatiques qui font tout escalader, bien sùr).

Dans les tout derniers moments de cette crise, juste avant l'inéluctable et comme une cerise sur le gâteau au détour d'un dialogue, on apprend que la première intrigue (celle avec les djihadistes) avait finalement un rapport avec le reste. Alors que tout conduisait à croire qu'ils n'étaient en relation qu'avec la Corée du Nord pour échanger de l'or ou argent de la drogue contre leurs armes, un des leaders chinois révèle que la Chine elle même téléguidait toute leur opération. Justification de plus gratuitement offerte aux américains pour appuyer sur le bouton final (s'ils n'en auront jamais confirmation, le lecteur lui sait).

Un dernier coup de victimisation de la présidente américaine (en plus de la tromper son mari l'abandonne elle et sa fille, seules avec des milliers de serviteurs dans leur abri géant, et en plus elle semble un peu triste de devoir faire "son devoir", la pauvre), et hop on peut finir sur un gros boum.

En conclusion, j'espère que Ken Follett en reviendra aussi tôt que possible à ses amours pour le Moyen-Age, dont relève la finesse de sa propagande.

ps : j'allais oublier ce que j'ai trouvé le plus amusant, l'auteur faisant la promo de ce livre disant qu'il avait "volontairement décidé de faire de tous les personnages des gentils victimes d'un engrenage", quand on trouve difficilement plus d'un seul gentil musulman de tout le livre, et un total de 5 gentils asiatiques à tout casser sur une vingtaine de personnages de ce continent (un tout petit peu) développés, tous les autres apparaissant plutôt comme des fous de guerre dangereux ou de vils ambitieux ou corrompus (et comme les principaux responsables de l'escalade quand ils refusent de se soumettre aux braves américains qui ne rêvent que de paix).

Antonio-Palumbof
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le 25 oct. 2023

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