"Si un élément (...) [ne trouve] aucune place dans la grille d'interprétation, nous devons avons à notre service la catégorie commode de l'absurde, qui absorbera cet encombrant résidu. Or le monde n'est ni signifiant, ni absurde. Il est, tout simplement." (21) "À la place de cet univers des significations (psychologiques, sociales, fonctionnelles), il faudrait essayer de construire un monde plus solide, plus immédiat. QUe ce soit d'abord par leur présence que les objets et les gestes s'imposent, et que cette présence continue ensuite à dominer, par dessus toute théorie explicative qui tenterait de les enfermer dans un quelconque système de référence, sentimental, sociologique, freudien, métaphysique ou autre." (23) Or, du pdv de la littérature, les vérités économiques, les théories marxistes sur la plus-value et l'usurpation sont aussi des arrières-mondes. Si les romans progressistes ne doivent avoir de réalité que par rapport à ces explications fonctionnelles du monde visible, préparées d'avance, éprouvées, reconnues, on voit mal quel pourrait être leur pouvoir de découverte ou d'invention; et, surtout, ce ne serait une fois de plus qu'une nouvelle façon de refuser au monde sa qualité la plus sûre : le simple fait qu'il est là. Une explication, quelle qu'elle soit, ne peut être qu'en trop face à la présence des choses." (45-46)
  • Mais si je me souviens bien, Compagnon, qui cite Barthes dans je sais plus quoi, explique que l'effet de réel n'est pas un élément réel mais demeure une signification à l'intérieur du langage. L'effet de réel est un : Eh oh, regarde, je suis du réel, je suis la réalité ! Des mots encore. On ne sort pas de la signification. Son appel à la réalité solide, à l'être là des choses, n'est, dans le roman, qu'une signification. Lui aussi tente, je crois, d'enfermer les choses dans une théorie explicative qui serait une sorte de phénoménologie naïve voire d'un réalisme ontologique du type : les choses sont là, point. Mais 1) même la phénoménologie nous apprend que les choses sont déjà infusées de sens, que le monde est un vaste tissu de significations. 2) Si, comme le veut Barthes, on ne sort pas du langage, alors il n'y a pas lieu d'opposer, dans le roman, position concrète et solide d'objet, et signification culturelle, psychologique ou autre, car dans les deux cas on demeure dans l'ordre de la signification. 3) Il ne faut pas faire comme si on était coincé dans une alternative du type : ou bien réel brut, ou bien réel expliqué par des théories grossières. Le roman peut inventer une psychologie qui n'a rien de psychologique, une sociologie d'aucune société existante ou même possible. Bien sûr qu'il faut rester dans la signification, comment ferait-on autrement, et pourquoi, sinon, voudrait-on faire du roman, mais il faut la faire devenir. C'est à cette condition que les théories donnent un pouvoir d'invention au roman. 4) Je crois que je caricature un peu la position de Robbe-Grillet. Tant pis :) Mais bon, je crois ne pas être si loin du compte. p26-27, il explique que le roman se détache, parallèlement à notre culture, au mythe de la profondeur. Raison pour laquelle on préfère (et doit préférer) "l'adjectif optique, celui qui se contente de définir, de mesurer, de délimiter, à l'adjectif dit viscéral, analogique ou incantatoire, l'adjectif global et unique qui tentait de rassembler toutes les qualités internes, toute l'âme cachée des choses" (mélange approximatif de citations). Mais fréro ? Tu comprends que ton adjectif qui mesure ou définit est tout autant chargé de présupposés métaphysiques que l'autre? Comme si la position relative des choses entre elles dans un espace objectif, prises dans un champ d'extériorité, était plus vrai, plus réel (et plus intéressante !?) que l'ex-pli-cation, le dé-pli-ement de leur intériorité. Dire que les choses sont des coquilles vides, ou des surfaces durs et impénétrables, est une analogie tout aussi spatiale, une position métaphysique tout aussi naïve, car grossière , que dire qu'elles sont sapates. Ce qu'il faut penser, je crois, c'est l'extériorité ou l'hétérogénéité constitutive à toute intériorité. L'intériorité, dit Deleuze, n'est pas une essence profonde mais une épaisseur qui contient un monde (toujours dans un jeu interne-externe). L'adjectif dit incantatoire ou viscéral n'a pas à dévoiler la vérité profonde de quelque chose, il n'a pas à faire de la chose le symbole d'autre chose, il peut être un signe vers (vers une rencontre, un devenir). L'adjectif dit optique peut être un gros message du type "je suis la réalité", et donc renvoyer à un au-delà de la littérature, à une métaphysique. Pour résumer j'ai l'impression, et c'est là ou je le caricature surement, que Robbe-Grillet dit : on croyait que le monde était intériorité, signification et essence, mais en fait il est extériorité, présence et solidité. Ce serait alors toujours au nom de la vérité, même si elle change de contenu, qu'il prescrirait des choses pour la littérature. Mais ça a le même défaut que la tendance qu'il critique : ce n'est ni "vrai" ontologiquement (c'est grossier), ni intéressant (c'est pauvre), ni juste pour décrire ce que fait la littérature.
  • "JL Borges dans fictions : "Le romancier du 20è qui recopierait mot pour mot Don Quichotte écrirait ainsi une oeuvre totalement différente de celle de Cervantès" (10)
    "Ainsi, après avoir indisposé les critiques en parlant de la littérature dont il rêve, le romancier se trouve lui-même démuni lorsque ces mêmes critiques lui demandent : "Expliquez-nous donc pourquoi vous avez écrit ce livre, ce qu'il signifie, ce que vous vouliez faire, dans quelle intention avez vous employé ce mot, construit cette phrase de telle manière ? (...) L'oeuvre demeure, dans tous les cas, la meilleure expression possible du projet. S'il avait eu la faculté d'en fournir une définition plus simple, ou de ramener ses deux ou trois cents pages à quelque message en langage clair, d'en expliquer mot à mot le fonctionnement, bref, d'en donner la raison, il n'aurait pas éprouvé le besoin d'écrire le livre." (14) "L'art pour l'art n'a pas bonne presse: cela fait penser au jeu, aux jongleries, au dilettantisme. Mais la nécessité, à quoi l'oeuvre d'art se reconnait, n'a rien à voir avec l'utilité. c'est une nécessité tout intérieure, qui apparait évidemment comme gratuité lorsque le système de référence est fix" du dehors: vis-à-vis de la révolution, par exemple (...). C'est là que réside la difficulté - on serait tenté d'écrire l'impossibilité - de la création : l'oeuvre doit s'imposer comme nécessaire, mais nécessaire pour rien; son architecture est sans emploi; sa force est une force inutile." (52)
    • Je suis pas sûr d'être 100% d'accord avec la dernière phrase. L'oeuvre peut servir un but extra littéraire, mais être la seule à le pouvoir. Le désir peut venir d'autre chose, condamner, comprendre, réfléchir sûr, raconter, défendre, fantasmer, inventer x, et se rendre compte qu'il n'y a, qu'il n'y avait ou qu'il n'y aura que l'oeuvre pour l'effectuer. Alors elle est un moyen particulier. Elle n'est pas un moyen, mais le moyen, le seul puisqu'elle est la matérialisation du désir, de la question et de la réponse. Exemple : je regardais hier un docu sur Les Bienveillantes que j'ai pas lu. Littell dit à la fois qu'en écrivant, il ne se souciait que du travail de la forme. Il se compare à un peintre en train de fabriquer la toile d'un massacre innommable mais dont les seules questions seraient : "dois-je mettre du vert ou du jaune ici ?". De même il ne se demande que s'il doit mettre un imparfait ou un plus que parfait, un adverbe à tel endroit. Pourtant son problème initial, dit-il, c'est de comprendre (j'imagine qu'il veut dire : comprendre comment on peut devenir acteur volontaire de la Shoah). Donc, l'architecture du livre n'est pas "sans emploi", sa force n'est pas "inutile". À proprement parler, elle sert à quelque chose, sans que son architecture, ni leur force ne perdent leur nécessité.
    "Inconsciemment jugée par référence aux formes consacrées, une forme nouvelle paraîtra toujours plus ou moins une absence de forme" (19) Dessin satirique russe : "un hippopotame, dans la brousse, montre un zèbre à une autre hippopotame: "tu vois, dit-il, ça c'est du formalisme." (49) Formalisme : "Pris dans son sens péjoratif, il ne devrait en effet s'appliquer - comme l'a fait remarqué Sarraute - qu'aux romanciers trop soucieux de leur contenu, qui, pour mieux le faire entendre, s'éloignent volontairement de toute recherche d'écriture risquant de déplaire ou de surprendre : ceux qui, précisément, adoptent une forme - un moule - qui a fait ses preuves, mais qui a perdu toute force, toute vie. Ils sont formalistes parce qu'ils ont accepté une forme toute faite, sclérosée, qui n'est plus qu'une formule et parce qu'ils s'accrochent à cette carcasse sans chair." (53)
    • J'ajoute, mais sans doute cela vaut-il plus aujourd'hui qu'au moment de la publication : Pris dans un sens péjoratif, formaliste devrait s'appliquer aussi à ceux qui, trop soucieux d'innover sans recherche, ni travail, ni problème, qui, pour mieux se faire entendre, s'éloignent volontairement de toute intelligibilité risquant d'être comprise et dénoncée comme banale ou faible. Mais Robbe-Grillet a raison de dire qu'avant de réduire une l'audace à du formalisme, il faut prendre garde à n'être pas un hippopotame qui appelle formaliste un zèbre. C'est pas parce que ça ne me parle pas, que je ne comprends rien, que je n'identifie aucune règle, structure, harmonie, cohérence (et comment pourrais-je si c'est vraiment nouveau et si ça ne se calque pas sur mes paradigme implicites), qu'il n'y a pas de recherche.
    Nous sommes tellement habitués à entendre parler de personnages, d'atmosphère, de forme, de contenu, de message, du talent de conteur, des vrais romanciers, qu'il nous faut un effort pour nous dégager de cette toile d'araignée et comprendre qu'elle représente une idée sur le roman...(29)
    Tous les éléments techniques du récit - emploi systématique du passé simple et de la 3è personne, adoption sans condition du déroulement chronologique, intrigues linéaires, courbe régulière des passions, tension de chaque épisode vers une fin etc. - tout cela visait à imposer l'image d'un univers stable, cohérent, continu, univoque, entièrement déchiffrable
    Raconter est devenu proprement impossible
    ohlenflure
    5
    Écrit par

    Créée

    le 25 nov. 2023

    Critique lue 14 fois

    ohlenflure

    Écrit par

    Critique lue 14 fois

    Du même critique

    Dandadan
    ohlenflure
    5

    Critique de Dandadan par ohlenflure

    Pas grand intérêt, pas horrible non plus, mais l'animation et les musiques sont biens.

    le 7 nov. 2024

    1 j'aime

    La tyrannie vertueuse
    ohlenflure
    6

    Critique de La tyrannie vertueuse par ohlenflure

    De bonnes critiques à des positions souvent indûment caricaturées. On a souvent envie de répondre à la place des débiles avec qui il discute. Le livre a le défaut de ceux qui condamnent le wokisme :...

    le 4 sept. 2023

    1 j'aime