Ce petit livre qui se dévore littéralement va faire mal à l'orgueil tricolore : depuis les années 70, les Pays-Bas se sont convertis au vélo, quand nous persistions à aménager nos villes pour la voiture. Stein Van Oosteren démontre avec cruauté l'ineptie de notre système qui, par exemple, lorsqu'un axe est saturé de voitures, a pour réflexe de créer de nouvelles voies pour l'automobile. Or, nous rappelle l'auteur, le flux de véhicules n'est pas un objet fixe mais un processus dynamique : plus vous faites de la place à la voiture, plus les gens la prennent, et la saturation persiste. De là l'unique solution : donner la primauté au vélo (et, j'ajouterais, pourrir la vie des automobilistes, pour qu'ils n'aient plus intérêt à prendre leur véhicule). Il démonte aussi implacablement les fameux biais cognitifs qui nous incitent à penser que le vélo, non, ce n'est pas possible chez nous. La démonstration est imparable.

Mais l'être humain n'est pas pure rationalité : 50 ans d'accoutumance ne vont pas être faciles à briser, surtout quand cette accoutumance est si confortable. L'être humain étant naturellement rétif au changement, comme le rappelle l'auteur, le Français brandit moult arguments pour ne pas changer sa façon de se déplacer. A commencer par le fameux "c'est trop dangereux".

Vrai. Mais si c'est trop dangereux, c'est parce que le cycliste est seulement "toléré" sur la route, entièrement dévolue à l'automobile. Créez des pistes cyclables (et non de simples bandes cyclables), aménagez les carrefours pour que le cycliste puisse les traverser en toute sécurité, associez les gares à de gigantesques parking à vélos, vous verrez que cet argument-là va tomber comme un fruit mûr.

Utopique ? Les Pays-Bas l'ont fait. Et, contrairement à ce qu'on croit, ce n'était pas dans leur gênes : c'est la mort d'un enfant, renversé par un chauffard en 1970, qui déclencha une vague de protestation et l'exigence de la part des citoyens de changer de paradigme quant au transport.

Chez nous, le vélo est un sport ou un loisir, pas un moyen de transport. Chez nous, il faut s'équiper pour se protéger des voitures, un comble aux yeux de l'auteur. Cela me rappelle un slogan que j'aime bien : "je ne veux pas protéger l'environnement, je veux un environnement qui n'a pas besoin d'être protégé". Exactement la même chose ici : sécurisez les trajets, dit l'auteur, et vous n'aurez plus besoin de casque ni d'accessoires, les gens feront du vélo comme ils marchent à pied.

Si les nombreux arguments qui parsèment le livre, agrémentés de photos et de dessins humoristiques (dont ceux de l'excellent Tronchet), ne suffisent pas à vous convaincre, Stein Van Oosteren vous conseille une seule chose : allez voir comment ça se passe aux Pays-Bas. Je confirme : un week-end à Amsterdam vous fait ressentir le bonheur d'une ville débarrassée de la bagnole, et vous montre que oui, c'est possible. Là-bas, c'est l'automobiliste qui se sent l'intrus : il est "toléré" comme le dit très justement l'auteur. Certes, Van Oosteren passe sous silence quelques problèmes qui sévissent : par exemple, à Amsterdam, des centaines de vélo se retrouvent dans les canaux chaque année. Un bémol, mais malgré tout on se sent stupides d'avoir opté chez nous pour une organisation à ce point viciée, de nous être rendus, pieds et poings liés, au dieu de la bagnole.

Heureusement, ça y est, les choses changent en France : l'auteur cite Paris, Bordeaux et Strasbourg, qui suivent l'exemple néerlandais (et dont les édiles, précisent-ils, sont allées voir sur place aux Pays-Bas comment les choses étaient organisées). Dans une prochaine édition, il pourra ajouter Lyon qui est en train de refaire son retard, sous l'impulsion de la métropole écolo. Ce sera dur, il y aura du sang et des larmes : il faut voir les insultes que récolte quotidiennement sur Facebook Fabien Bagnon, l'élu chargé des transports. Idem pour Anne Hidalgo à Paris. Mais le cap est tracé, nous sommes enfin sur la bonne voie.

Le livre se conclut par pas moins de 185 raisons de faire du vélo : autonomie, simplicité, exercice physique, lien social, dimension écologique, etc. Rien d'utopique : il ne s'agit pas de se confronter à l'inconnu, mais simplement de renouer avec ce qui fut la règle avant les mal nommées 30 glorieuses. Jusqu'au milieu du XXème siècle, les gens se déplaçaient majoritairement à vélo, rappelle l'auteur. Comme pour tout sujet touchant à l'écologie, et le vélo en est vraiment un, il ne s'agit que de jeter un oeil critique sur la façon dont nous avons évolué. Et d'avoir l'humilité de revenir sur nos pas lorsque le constat d'échec est aussi flagrant. On pourrait d'ailleurs généraliser ce que dit ce livre à tous les sujets écologiques : comment expliquer qu'il soit si compliqué et si cher en France de consommer local ? Plus c'est produit proche, plus c'est cher ! La réponse porte un nom : le système économique libéral mondialisé.

Le livre de Van Oosteren fait apparaître la voiture comme l'emblème du capitalisme triomphant : celui qui vend du rêve, flattant notre désir de puissance (d'où l'uniformisation des formes de voiture selon le modèle le plus cher, le VUS), donnant au citoyen l'impression que la voiture est un espace de liberté (tout en promouvant des habitats où ne figure aucune voiture !... cherchez l'erreur) et ne se souciant jamais de l'intérêt général (l'individualisme forcené en étant la clef de voûte). Avec le vélo, l'être humain se remet en selle, cette fois sur la bonne piste (cyclable).

Bien sûr, la limite de ce genre de livre est qu'il est surtout lu par des "déjà convaincus". Au moins ceux-ci y puiseront-ils de quoi répondre aux accros à la bagnole. C'est déjà beaucoup.

Jduvi
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le 20 nov. 2022

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