Le narrateur de «Préhistoire», un ancien archéologue nommé gardien et guide de la grotte de Palus suite au décès de son prédécesseur, traîne des pieds, multiplie les manœuvres dilatoires pour repousser sa prise de fonction et la réouverture du site, en commençant par demander un uniforme à sa taille pour remplacer celui du précédent gardien Boborikine dont il a hérité, à l’instar du romancier enchaînant les digressions pour échapper à la fiction réaliste, répétition infinie de la même histoire, et pour retarder le risque de face à face avec les sentiments d’impuissance et d’imposture de l’écrivain.
«On me réplique aussi sec de là-haut qu’un uniforme n’a besoin de personne, sinon pour tenir debout, et que telle poignée de son vaut bien telle autre dans le ventre de la poupée, Boborikine ou moi, peu importe, que ma requête est irrecevable et repose même sur un sens des valeurs complètement perverti puisque ce serait plutôt à moi de m’adapter, en toute logique, de prendre du poids et de descendre un peu de ma hauteur afin de me couler dans l’uniforme de Boborikine, que cette manière de m’en échapper par tous les bouts pourrait bien être considérée comme un manquement à la discipline, déjà, une faute grave, un refus d’obéissance, que je suis grotesque ainsi, dans cet uniforme, que je le déshonore, portant préjudice du même coup à la profession tout entière, qu’il va falloir que je change et vite si je veux éviter des sanctions, voire une mise à pied définitive, que mon attitude est inqualifiable et que je ne suis pas en mesure de rien réclamer, surtout pas un uniforme, quand on voit la façon dont je les porte, me suis-je bien regardé, cette désinvolture, ce débraillé, comment osais-je prétendre en obtenir un neuf ?»
Ce gardien-narrateur, préoccupé d’abord de son apparence, va agir avec constance en dépit de ce qu’on attend de lui, et en même temps nous faire visiter la grotte de Pales, raconter en un seul livre des dizaines de récits, sur l’imaginaire associé à l’époque préhistorique, aux grottes et aux peintures rupestres, sur des événements microscopiques transformés en péripéties considérables comme la mort d’un moucheron, sur la vie de Nicolas Appert car il est beaucoup question de conservation dans ce livre, multipliant à l’excès les récits brillants, incongrus et burlesques, pour réussir à créer en différant toujours le début du récit.
«La fin de la préhistoire fut précipitée par l’apparition de l’écriture. Plus exactement, on considère que l’apparition de l’écriture marque la fin de la préhistoire, que celle-ci en somme s’achève lorsque le récit commence. Présent sur la terre depuis trois millions d’années, et fatigué sans doute d’être lui-même, on le serait à moins, immuable en dépit de transformations morphologiques qui l‘éloignaient peu à peu du singe sans l’apparenter au tigre pour autant, l’homme devint alors ce personnage de fiction dont les aventures extraordinaires se poursuivront de livre en livre jusqu'à la disparition de l’écriture, un jour ou l’autre, car ces aventures finiront par lasser tant il est vrai que leur succession rapide et ininterrompue décrit la plus parfaite figure de l’immobilité que l’on ait connue depuis les grandes glaciations du quaternaire.»
Frustrant par moments du fait de son objet même, un surplace ironique et brillant dans la pré-histoire.