"Et l'homme créa un dieu", et il vit que cela était... bon ?
Causons un peu de "Et l'homme créa un dieu", roman de Franck Herbert.
Le titre original est "The Godmakers". Je trouve que le titre français a plus de classe. Ce roman est parfois appelé "Prélude à Dune", ce qui est une belle connerie, pour plusieurs raison :
- Il a été écrit publié une demi-douzaine d'années après Dune (raison bidon, mais quand même) ;
- Il ne reprend aucun élément de l'univers fictif Dune ;
- Si certains thèmes semblent se proches de ceux de Dune, ce n'est qu'une illusion. Leur traitement est fondamentalement différent.
Les thèmes d'ailleurs : sans trop prendre de risque, on dira que le thème principal est la divinité. Pourtant, mis à part quelques références fugaces, ce thème n'apparait pas avant la moitié du roman. Les premiers chapitres sont tout entier consacré à la question de la paix, et à son corolaire, la peur. L'Empire galactique est en effet traumatisé par plusieurs graves conflits qui l'ont laissé au bord de la destruction. Le personnage principal est employé par une agence de l'Empire, son rôle est de reprendre contact avec des mondes oubliés et d'en contrôler la propension à la guerre. Ce personnage est donc l'antithèse de Paul Atréïdes, ce nobliau capricieux assoiffé de revanche, de pouvoir et de sang.
Quelques idées sur le pouvoir sont également avancées au cours du roman, bien qu'elles ne soient pas l'essentiel : on arrive rapidement au thème principal qui est la divinité et les miracles. Franck Herbert aborde ce thème de la façon opposée à Dune : le dieu n'est plus celui qui est considéré comme tel par le peuple, il est celui qui peut s'affranchir des règles physiques qui gouvernent l'univers. Le dieu est le résultat d'un évènement cosmogonique sur lequel les hommes peuvent avoir une influence (d'ou le titre). Mais pourquoi créer un dieu ? Quels sont les dangers d'une telle création ? Et quelle responsabilité, quelle malédiction pourra peser sur celui qui sera élevé à la divinité ?
Finalement, ce texte est beaucoup plus mystique que Dune. La religion n'est plus centrée sur les fidèles mais sur la divinité. Franck Herbert se permet quelques digressions obscures sur le temps et l'espace, et ce genre de chose. Il révèle surtout sa compétence pour construire son récit de façon méthodique : pour qui veut bien ouvrir l'oeil, le plan entier du roman est présenté dès les premières pages, et de nombreux éléments "cachés" dans les épigraphes viennent enrichir cet univers complexe. Il montre son talent pour représenter les choses de façon subtile, presque cachées, mais également pour peindre une psychologie, un univers, une histoire en quelques coups de pinceaux.
J'ai lu ce livre 3 ou 4 fois. La dernière fois, je l'ai terminé il y a quelques jours. J'ai été encore plus retourné que les 3 fois précédentes, et j'ai eu la furieuse envie de relire l'ensemble du roman, mais à l'envers, afin de suivre le raisonnement indépendamment des éléments de l'histoire. Il me semble que la linéarité apparente du récit cache en fait un raisonnement "à rebours" qui mérite le détour.
Je pense que c'est une bien meilleure "première approche" de l'écriture de Franck Herbert, à la fois plus simple et plus synthétique que Dune, tout en étant plus riche dans son propos, dans ses ouvertures. Je ne saurais trop le conseiller, donc, autant pour la qualité de l'histoire, du récit, que par les thèmes fondamentaux soulevés et la manière, la "méthode Herbert".
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