On pourrait faire des drôles de parallèles entre la vie de Romain Gary, ce type grandiloquent avec ses vestes espagnoles improbables*, et cet étrange livre. On pourrait parler en effet de son autre soi, Emile Ajar, écrivain de l'ombre à l'époque, belle farce artistique puis mondaine d'un désespéré suicidaire. Il y a sûrement des gens qui le font mieux que moi.
Dans mon parcours littéraire, il fut une année où je m'arrêtas de lire - vers le lycée. Pour cause, je commençais à connaître par coeur des passages de Pseudo et j'avais lu Belle du Seigneur. Cela me suffisait. Tous les autres étaient des ébauches ratées, j'avais atteint le maximum de gastronomie intellectuelle poétique ou que sais-je. Je commençais les pages d'un nouveau livre pour revenir lire mes passages préférés de Pseudo, ou pour tenter de me replonger dans les histoires d'amour juives de Cohen.
Pseudo, c'est moi lycéenne, c'est moi adolescente.
"Il est vrai que j'ai des problèmes avec ma peau, parce que ce n'est pas la mienne : je l'ai reçu en héritage.
[...]
J'ai tout essayé pour me fuir. J'ai même commencé à apprendre le swahili, parce que ça devait quand même être très loin de moi. J'ai étudié, je me suis donné beaucoup de mal, mais pour rien, car même en swahili, je me comprenais, et c'était l'appartenance."
Pseudo, c'est la crise identitaire où la parenté est une énigme, c'est la question des origines pour savoir qui je suis, quelle valeur a ce que je fais si je ne suis qu'un produit d'un autre. Plus loin encore, Ajar est le produit de Gary ; ce personnage imaginaire, qui a "gagné" un prix Goncourt, existe quelque part - une autre réalité.
Pseudo, c'est la comédie tragique de la folie, une histoire d'amour avec une jeune fille qui change de prénoms pour éviter la mort. "Chaque fois qu'un jour nouveau se pointe, j'ouvre la fenêtre et j'appelle au secours. Je saute sur le téléphone, j'appelle la Croix Rouge, le Secours catholique, le Grand Rabbin de France, le petit, les Nations Unies, Ulla notre mère à tous, mais comme ils sont parfaitement au courant, qu'ils voient de leurs propres yeux qu'un jour nouveau se lève et qu'ils prennent même leur petit déjeuner pour cette raison, je me heurte au quotidien familier, et c'est le bide.
Alors je deviens un python, une souris blanche, un bon chien, n'importe quoi pour prouver que je n'ai aucun rapport. D'où internement et thérapeutique, en vue de normalisation. Je persévère, je saute ailleurs, je me débine. Cendrier, coupe-papier, objet inanimé. N'importe quoi de non coupable. Vous appelez ça folie, vous ? Pas moi. J'appelle ça légitime défense."
D'une écriture enfantine un peu trop naïve pour ne pas laisser éclater une intelligence maline, Emile Ajar exorcise son pseudodyme et ses oeuvres précédentes liées pour dévoiler le maître marionnettiste derrière toute cette folle affaire, la clé de l'incompréhension, monsieur Gary.
*La double vie de Romain Gary : https://www.youtube.com/watch?v=pQRPIS6iiPU
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