" Puisse ce roman ne jamais finir " j'ai prié au bout de quelques pages. Malheureusement, non seulement le roman a une fin, comme d'habitude, mais les 587 pages défilent à une vitesse absolument détestable. Que voulez-vous? A.M. Homes sait y faire. Elle vous balance un narrateur dont vous ne savez que trop penser, mi-figue mi-raisin, il faut bien vous faire un avis donc vous le suivez, ce fameux narrateur, Harold de son prénom, surtout lorsqu'il vous interpelle:
" Vous voulez la recette du désastre? "
Et voilà, malheureux, vous sautez pieds joints dans un récit qui vous interdira toute autre occupation jusqu'à ce que ce cher Harry vous le permette (à la fin du roman).


La vie de Harold est un peu plate: historien, spécialiste de Nixon, marié à une femme hyper-active, ses recherches font du surplace, ses étudiants se fichent de l'histoire moderne des USA et sa femme est mariée surtout à sa fiche de poste.


Pendant ce temps, le frère cadet de Harold, George, mène une carrière obscènement réussie dans le milieu de la télé. Grand magnat, grande gueule, grande maison, grande famille (femme et deux enfants).
Harold ne sait pas trop ce qu'il en est de sa vie. Pas sûr qu'il se pose la question. Il sait seulement que son frère ne fait pas bon usage de la sienne, de vie, même s'il a tout en grand.
Et puis ça dérape. Un Thanksgiving chez George, deux personnes sur " les deux ou trois dizaines " présentes se retrouvent dans la cuisine autour des restes de la dinde, Harold et Jane, la femme de George.
" J'étais debout dans leur cuisine à gratter la carcasse tandis que Jane faisait la vaisselle, des gants bleu clair au mains, les avant-bras plongés dans l'eau mousseuse. J'avais les doigts bien au fond de l'animal, du corps caverneux encore chaud dans lequel était tassé le meilleur de la farce. Je piochais du bout des doigts et portais la farce à ma bouche. Elle m'a regardé - moi et mes lèvres grasses, mes doigts recourbés dans ce qui aurait été le point G de la dinde si elle en avait eu un -, elle a sorti les mains de l'eau et elle s'est approché pour me coller un baiser. Pas amical. Non, un baiser sérieux, humide et lourd de désir. Aussi terrifiant qu'inattendu. "
Il s'en suit une aventure aussi fulgurante que passionnelle, que George arrêtera à l'aide d'une lampe de chevet qui mettra Jane d'abord KO et plus tard hors circuit.
Si les circonstances paraissent loufoques, l'écriture de Homes les rendent hilarantes:
" Qui est cette femme? demande la narrateur.
- Jane, l'épouse de mon frère.
- Avez-vous son permis de conduire ou une autre pièce d'identité?
- Son sac est au rez-de-chaussée.
- Des informations médicales utiles, allergies, pathologies particulières?
- Est-ce que Jane a des problèmes de santé? hurlé-je dans toute la maison.
- Elle s'est pris une lampe sur le crâne, répond mon frère.
- Autre chose?
- Elle prend tout un putain de tas de vitamines, dit George.
- Est-elle enceinte? demande le narrateur.
La question suffit à me faire flageoler. (...)"


Les ressorts humoristiques sont nombreux et nécessaires pour désamorcer nombre de situations qui sinon, seraient lourdes et donneraient une toute autre tournure au roman. Ils tiennent surtout au style narratif de l'auteur, au dialogues courts et frôlant souvent l'absurde.
C'est ainsi que notre narrateur mi-figue mi-raisin se retrouve dans les pompes de son frère: Jane décédée, George isolé, Harold se retrouve avec la tutelle des enfants, Nathaniel et Ashley, 12 et 11 ans, la tutelle de la fortune de son frère, un chien, un chat, une toute autre vie... Quitté par sa femme qui ne manque pas d'apprendre l'adultère, il devient père célibataire face à toutes les responsabilités inhérentes à ce rôle.
Et c'est là que le véritable récit commence: c'est à partir de ces nouvelles données que Harold Silver va découvrir qui il est véritablement.
Ce roman fait partie de ceux qui ont le don de remettre les pendules à l'heure: comment appréhenderait-on la vie si les cartes étaient redistribuées?
Non seulement A. M. Homes nous met devant des questions que l'on aurait peut-être peur d'envisager mais elle le fait tout en dressant un portrait sans concession de la société américaine 2.0. Le couple, la réussite, l'éducation, l'argent, le sexe, les mass-media, tout y passe et on en redemande!


Quant à notre narrateur, son histoire est fantastique! Son humilité et bienveillance aussi. A la fin on aimerait ne pas avoir à le quitter. Mais pour cela il faut d'abord que vous le rencontriez. Big up, Harry!


Puissions-nous être pardonnés, A. M. HOMES,
Traduction Yoann GENTRIC, ACTES SUD 2015


http://lavistelquilest.blogspot.fr/2015/06/la-vie-dun-autre.html

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le 7 juin 2015

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