Pura Vida est un roman impressionniste à mi-chemin entre Les vies parallèles de Plutarque et Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry, deux inspirations revendiquées et deux modèles difficilement conciliables sous la forme d'un journal assez baroque, construit d'ailleurs en grande partie sur la lecture de la presse. L'ambition de Patrick Deville était donc grande, tout comme celle des aventuriers, mercenaires et révolutionnaires qui ont sillonné l'Amérique centrale pour s'y tailler un empire et, en fin de compte, le roman ressemble bien à un épisode de coup d'Etat au Honduras ou d'ultime assaut d'une ferme bolivienne, on ne sait pas trop qui est qui, les événements et les lieux s'entassent et il flotte toujours un parfum mélancolique.
Formellement, le roman est une succession de courts chapitres, tantôt biographiques, tantôt autobiographiques, reliés par l'histoire politique des pays d'Amérique centrale. On croise toute une variété de rêveurs, libérateurs, apprentis dictateurs et pauvres bougres à qui on a donné un fusil. Comme chez Lowry, l’Amérique latine est le décor somptueux d'une inlassable répétition des mêmes tragédies mais qu'alimentent ici plus spécifiquement la lutte pour le pouvoir, elle-même animée par le désir de vivre et de fuir le néant. C'est cela "la pura vida", la fuite en avant dans les rêves d'une époque. En arrière-fond, évoqués très discrètement, il y a aussi l'arrivée fracassante des européens et plusieurs siècles de génocides, mentionnons-le.
Les matériaux sont des lectures d'autres ouvrages - à ce propos j'ai apprécié l'érudition à la fois humble et généreuse - des articles de presse, qui à eux seuls auraient suffit à écrire quelque chose de plus intense et d'encore plus délicieusement absurde, des entretiens avec des témoins historiques et, enfin, les pérégrinations de l'auteur lui-même à travers la région, errance qui fait l'objet d'une partie du livre et recoupe celle des infortunés romantiques révolutionnaires, de William Walker en particulier. William Walker, sorte d'anti-Che Guevara, est le fil rouge mais bien ténu qui sert à tenir le tout. Car malheureusement, de mon point de vue, l'effet d'emboîtement recherché ne fonctionne pas vraiment. Certains chapitres m'ont passionné, souvent les plus longs et les plus biographiques, et d'autres qui n'avaient pas forcément de rapport avec les premiers, m'ont désintéressé, à l'instar de l'histoire de Victor, figure mystique qui symbolise l'échec des révolutions et qui réapparaît inlassablement avec sa satanée casquette rouge.
J'aurais vraiment pu aimer ce livre, d'autant que le thème des révolutions éveille facilement en moi la fièvre. Malheureusement l'oeuvre ne me parait pas achevée, les transitions sont brusques, hachées, les noms des villes et des personnalités se succèdent trop rapidement, les périodes se chevauchent sans liens solides. De mon point de vue, les récits non-linéaires demandent une plus grande cohérence encore que les autres et c'est un peu ce qui manque ici, desgraciadamente. La conséquence de cette accumulation un tantinet brouillonne est le recours trop courant à la téléologie, que l'auteur voudrait un peu trop facilement faire passer pour un ressort tragique : "Il ne sait pas qu'il ne lui reste que neuf jours à vivre", "C'est sur ce fleuve qu'il mourra quatre ans plus tard"... Du reste, la lecture générale reste agréable, le style est travaillé, direct, parfois poétique. Le ton est humble, rêveur. J'éprouve personnellement beaucoup de sympathie pour le narrateur.
Ce roman m'a été conseillé par un ami restaurateur qui considère qu'il s'agit d'un ouvrage indispensable. Je suspecte à présent ce lecteur assidu de Malcolm Lowry de rechercher ailleurs le même frisson. Je le comprends. A moins qu'il n'ait lu Au-dessous du volcan que parce que Patrick Deville le conseillait ? Pour ma part, je le recommanderai peut-être, comme lecture d'hiver, à ceux qui aiment la révolution.