Essai extrêmement intéressant sur les dispositifs, qu'Agamben définit, à partir des recherches de Foucault, Hyppolite, Hegel, comme "tout ce qui a d'une manière ou une autre, la capacité de capturer, d'orienter, de déterminer, d'intercepter, de modeler, de contrôler et d'assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants". Ça va de la prison à l'usine, l'école à la philosophie, le stylo et même le langage. Il remonte l'origine des dispositifs à la séparation en Occident durant l'Antiquité de Dieu en une sainte Trinité, l'action (le Fils) se détachant alors de l'être (Dieu), une excuse trouvée pour séparer la politique et l'économie de la religion (peut-être une manière de justifier toutes les exactions causées par le christianisme au cours des siècles ?).
Les dispositifs ont d'abord eu vocation à nous guider et nous mener vers le Bien, notamment en nous subjectivant, c'est-à-dire répudier le Moi ancien et le renouveler, découvrir un autre Moi. Le philosophe fait une comparaison avec la confession, où le dispositif pénitentiel nous permet de nous racheter de nos fautes et donc de progresser. La non-vérité du Moi pécheur répudié remplaçant ainsi la précédente.
Agamben finit toutefois par nous appeler à lutter contre la prolifération de ceux-ci dans la dernière étape extrême du capitalisme que nous traversons. Les dispositifs les plus modernes à l'instar du téléphone portable, de la télévision, Internet continuent de nous subjectiver, mais nous désubjectivent également. Le constat du philosophe est pessimiste : le téléphone portable réduit nos capacités de communication, et nous ajoute simplement un chiffre, un numéro, à partir duquel on pourra être contrôlé. De la même manière, la télévision ne donne à la personne que le "masque frustrant du zappeur". Il considère que la lutte contre ceux-ci doit prendre la forme de la profanation, afin de rendre à l'usage commun la puissance enlevé par les dispositifs. Le pouvoir d'action, le pouvoir politique et économique nous est retiré.
Il conclut que la multiplication des dispositifs a fini par ramollir les individus que peuplent nos sociétés, qui accepteraient plus facilement les politiques sécuritaires, puisqu'on serait devenu docile, habitué à être guidé en permanence. De fait, le gouvernement, en panique devant une société aussi molle, paniquerait et se lancerait dans une course folle vers une société du contrôle, en multipliant les dispositifs captant les gestes et conduites des citoyens.
Son constat est bien noir et les uns pourraient arguer que les dispositifs tels que les téléphones portables et les réseaux sociaux (ces derniers n'existant pas encore lors de l'écriture de l'essai) ont tout de même permis l'émancipation de certaines franges de la population et une meilleure circulation de l'information. L'époque de post-démocratie que nous connaissons aujourd'hui tend même à faire triompher une contre-vérité, en désaccord avec les dispositifs cybernétiques gouvernementaux. Le Brexit et l'élection de Trump en étant de bons exemples.
Ce à quoi je répondrais qu'ils sont généralement le fait de personnes ayant des capacités techniques largement plus développés que la moyenne. Et que surtout l'utilisation de ces dispositifs ne nous affranchit pas du contrôle et du fichage généralisé. On pourrait également ajouter tous les technologies anthropométriques (empreintes digitales, photos signalétiques etc) imposés par les dispositifs biométriques en provenance directe de l'Union Européenne. La prolifération des puces RFID. L'état d'urgence. Etc etc.
Bref, comme on dit, ça pue la schmoute et il va falloir réagir. Vite.