J'avais acheté ce livre totalement par hasard sur Vinted (on fait avec les moyens qu'on a) alors que j'en achetais un autre, il ne coûtait qu'un euro de plus. Comme le titre m'a fait marrer, j'ai décidé de le prendre, ça ne mangeait pas de pain (un peu quand même). Il trainait depuis quelques mois dans ma modeste bibliothèque et je décidai enfin de le lire, il n'est pas très long, deux jours et c'est torché. Quelle ne fut pas ma surprise en voyant que ce bouquin aborde la psychologie, le domaine que j'étudie, et plus précisément avec les enfants, ma spécialisation.
Mais bref, ma plus grande surprise est que Quand j'avais cinq ans, je m'ai tué est un excellent livre. Non seulement d'un point de vue narratif, mais surtout, l'approche de la psychologie en fond est on ne peut plus cruelle mais révélatrice de certains problèmes ! (et toujours d'actualité pour voir que le livre a 40 ans)
Alors, ça peut être de prime abord assez difficile de rentrer dans ce livre. Parce que le parti pris de l'auteur est de raconter son histoire à travers la vision d'un enfant, Gilbert (Gil). Et pour se faire il écrit à la manière d'un enfant. Si bien que l'on a une écriture mi-orale, mi-écrite, avec des fautes d'orthographes, de syntaxe etc. voulues. J'aime plutôt l'intention, mais c'est vrai que c'est parfois compliqué à lire, j'ai souvent tiqué sur certaines phrases car mon œil était attiré par les erreurs enfantines, ce qui coupais totalement mon rythme de lecture. Et de ce fait je devais relire plusieurs fois certaine phrase. Mais attention je ne dis pas que le bouquin se lit mal, au contraire, simplement que des fois, surtout au début, ça surprend.
Bon, mais pourquoi c'est brillant alors ? Déjà, le fait de se placer sous le point de vue de l'enfant permet de montrer, de rappeler plutôt, qu'un enfant ne raisonne pas vraiment comme un adulte, et ce, car il n'est pas encore au fait de son environnement (entre autre) et non parce qu'il est bête ou malade. Premier point intéressant dans la construction globale du récit. Ensuite, alterner le récit entre la vie de Gil avant la clinique et pendant son internement nous permet d'apprendre à connaître l'enfant dans deux contextes différents. Deuxième évidence soulignée : l'environnement, le contexte a un impact considérable sur le bien être et le comportement d'un enfant (pas seulement d'ailleurs hein).
Lors de la lecture, il me semble qu'à aucun moment l'on peut se dire que Gil est un enfant malade ou anormal. C'est juste un enfant, même un garçon plutôt éveillé. Les seuls retours extérieur que l'on a sont les lettres que Gil ne comprend pas. Les rapports du Dr. Nevele. On sait donc qu'un certain évènement à provoqué l'internement de Gilbert. Évènement que nous ne connaitront qu'à la fin. D'ici là, Howard Buten joue avec la dualité entre le Dr. Nevele et Rudyard. Le Dr. Nevele qui va incarner cette institution indiscutablement compétente, aveugle aux sentiments. Rudyard, lui sera la bienveillance et la compréhension réelle des enfants. L'un crédible, car diplômé, sourd aux avertissements de l'autre, incompétent car simple sous-fifre. Et je pense que l'on a là le reflet glaçant d'une certaine réalité.
On attribut des problèmes cliniques à Gil alors qu'il est simplement bouleversé. Pour peu que nous puissions être bouleversé de manière simple... C'est là tout l'enjeu ! Evidemment que non, être bouleversé ne peu par définition pas être simple, cela entraine forcément des changements intra individuels qui sont parfois difficiles à gérer adulte, alors pour un enfant, complètement subversifs. Peut-être vaut-il mieux essayer de comprendre avant d'essayer de "guérir" ?
En effet, les psychiatres et les psychologues ont la fâcheuse tendance de vouloir tout "psychologiser", tout expliquer par leur connaissances, qui sont je n'en doute pas solides, mais si succinctes quand à leur application à un individu propre, surtout quand on parle de pathologies aussi floues que l'autisme, dont il semble être question ici.
Et bref, plus concrètement et de manière plus générale, tout ça pour dire que tout ces tests de QI ou autres que l'on peut faire passer (et je parle de vrais tests, pas de sornettes que l'on peut trouver sur internet ou autres tests plus douteux) sont à utiliser avec beaucoup de prudence. Et surtout, faisons attention à l'importance que nous pouvons leur accorder.
En fait, un test qui calcul le QI et toute ses composantes (et si je parle surtout pour les enfants, je pense que c'est également valable dans une certaine mesure pour les adultes) n'a pas la vérité absolue. Beaucoup de ses composantes (voir toutes non?) sont finalement impossibles à mesurer de nos jours. Rien que sur la théorie les chercheurs ne sont pas forcément d'accord et n'en sont qu'à l'aube de la connaissance sur le sujet alors comment voulez-vous mesurer ça et en faire un argument pour diagnostiquer un enfant ? Ca n'a pas vraiment de sens, les risques d'erreur sont considérables. Et surtout, ce diagnostique reposerait sur un unique facteur : l'échec à un test. Ça ne tient pas.
Non, utiliser ce genre de test, bien, c'est montrer qu'un enfant en difficulté, a peut-être en fait tout à fait les compétences nécessaires, et cela, s'il a de bons résultats au test malgré d'apparentes difficultés. Mais la réciproque est fausse ! Si un enfant obtient de mauvais résultats à un test, cela ne signifie pas nécessairement que cet enfant est diminué ! Tellement d'autres facteurs peuvent rentrer en compte qu'il est impossible de savoir pourquoi cet enfant se retrouve en difficulté avec une simple passation à un instant t, dans un environnement x et dans un contexte y. Le travail du psychologue est justement de chercher les causes possibles aux difficultés d'un enfant et non de la trouver du premier coup.
Si j'ose une métaphore forestière, prenons une scie et une tronçonneuse : deux enfants d'une même classe. Avec mes compétences et mes maigres revenus, la scie pourra couper un minimum de bois, si j'ai toutefois la présence d'esprit de couper du bois. Mais la tronçonneuse restera sur la touche. Alors qu'entre les mains d'un bucherons aguerri, la tronçonneuse tombera bien plus de bouleau (bouleau - boulot, tu l'as ? excellent putain) que n'importe quelle scie. Mais pourtant, si je réussi à mettre du carburant dans la tronçonneuse et à l'allumer, et que l'on donne la scie à notre ami bucheron, alors on aura l'impression... que la scie est bien plus adéquat quand même. Sauf s'il doit couper de la fonte et moi du bois ! Bref, ce que j'essaye maladroitement de dire par là c'est que deux enfants peuvent avoir des fonctionnements différents, en fonction du contexte, de l'interaction avec l'environnement, l'un pourrait sembler pathologiquement atteint et l'autre ordinaire alors qu'il n'en est rien. Certain arrive peut-être mieux à s'adapter que d'autre, mais à cet âge rien n'est joué et le travail du psychologue est d'y travailler et non de cloisonner.
Bref, les tests ne sont que des outils, et des outils primitifs de la mesure de ''l'intelligence'', pour peut que ce terme puisse être un temps soit peu concret. Si l'on peut enfoncer un clou avec un marteau, on le peut également avec un maillet ou une pierre. Et les tests d'aujourd'hui sont les galets de l'intelligence.
À la fin du récit, toutes les tribulations de Gil et Jessica sont remplies de tendresse et de poésie innocente, scintillant au milieu d'un monde acerbe composé d'adultes acrimonieux, c'est beau. D'autant plus que Howard Buten nous tient en haleine jusqu'à la fin. La tension monte de plus en plus pour arriver à ce fameux évènement que l'on connait maintenant... (et à une quasi incompréhension, à la hauteur de celle de Gil)
Ce qui résume je pense la mieux la pensée de Howard Buten dans ce livre (en tout cas ce que moi j'en retire) est la phrase que prononce le policier vers la fin justement pendant les évasions rêveuses de Gilbert et Jessica :
On dirait que vous n'avez jamais eu leur âge.
Chaque psychiatre et psychologue travaillant de près ou de loin avec des enfants devrait lire ça et réfléchir dessus en se remettant en question. Quand j'avais cinq ans, je m'ai tué apporte, toujours maintenant, 40 ans plus tard, un vent de fraîcheur à la psychologie.