Incontournable Décembre 2023



Après avoir lu "Darius le Grand ne va pas bien", alors que ma collègue tombe en amour avec "L'amour de A à z", on se dit que la ligne éditoriale de la maison Akata est très intéressante quand il s'agit des romans ado. Leur collection Young Novel ( Franchement, on aurait pu l'avoir en français ce nom, surtout d'un éditeur français) proposent des tranches-de-vie amoureuses ou frateroromantiques saines et réellement diversifiées, souvent avec des personnages issus des diversités ethniques. La diversité, je rappelle, ce n'est pas de changer la couleur de peau du personnage uniquement, mais de proposer de nouvelles manières de vivre une romance ou une fratero/soromance.



"Quand tu seras prêt" nous mène en Australie, où le sort des communautés aborigènes n'est pas sans rappeler le triste sort des autochtones d'Amérique du Nord et du Sud. Si le processus de réconciliation entre nations est engagé au Canada, en Australie, il semble que le racisme et la discrimination restent très fortes. On y voit même l'emploi des couleurs: Des "Blancs" et des "noirs" et le terme "Abo" semble aussi réducteur et déshumanisant que le terme "N***e" aux États-Unis. Bref, nous avons un contexte social où nos protagonistes appartiennent à une minorité ethnique de première nation, les kooris, et cela teinte leur réalité. Il faut que je précise un truc concernant le terme "koori", qui va revenir souvent dans le roman. Il ne s'agit pas d'une nation, mais d'un terme pour désigner l'ensemble des aborigènes.



Jackson est un jeune homme de seize ans, issu de la "Mish, une communauté aborigène, alors que les vacances de Noël coïncident aussi avec les vacances d'été ( Puisque les saisons sont inversés des nôtres pour les pays sous l'équateur). Jackson vit quelques soucis, entre sa scolarité boiteuse dont il semble ne pas tenir à terminer, sa petite amie avec laquelle les rapport sexuels n'aboutissent jamais et le racisme ordinaire qui semble être le lot quotidien de bien des jeunes aborigènes. Néanmoins, c'est Noël, il devra donc vivre avec ses huit petits cousins pour le moins bruyants qui partagent la maison le temps des vacances, avec ce que ça implique d'être le plus vieux des jeunes. Cela dit, sa tante Pam est également venue avec un adolescent en liberté conditionnelle, Tomas, qui va partager la chambre de Jackson. Si Jackson ne prête pas spécialement d'attention à Tomas au début, les choses vont évoluer en faisant des sorties entre cousins et surtout, quand ils vont se découvrir un intérêt commun: La bande dessinée ( ou roman graphique, c'est selon). Surtout, Jackson découvre que la nature de ce qu'il ressent pour Tomas va bien plus loin que ce qu'il a pu ( ne pas) ressentir pour Tesha, sa copine. Et en fouillant dans ses souvenirs, Jackson doit se rendre à l'évidence, il y a bien une chose chez lui qu'il s'est juré de garder bien caché et qui cherche maintenant à éclore.



Déjà, j'ai beaucoup aimé le traitement de la romance, parce que ces temps-ci je ne suis vraiment pas impressionnée par celles-ci, sans cesse toxifiées et exagérément sensationnalistes. Ici, on reste dans quelque chose de plus terre-à-terre, sans pour autant être fade. Il faut dire qu'on a pas besoin de surenchérir sur une situation déjà problématique, en ce sens où les deux jeunes hommes semblent être dans une société pas spécialement tolérante envers la communauté LGBT. Cela dit, et c'est particulièrement visible chez notre narrateur, il y a beaucoup de perceptions par rapport à l'homosexualité qui ne sont pas forcément vrais. Jackson a peur du rejet, des moqueries et de devenir une cible, mais ça reste hypothétique.



Attention, à partir d'ici, il peut y avoir des divulgâches.



D'ailleurs, lorsque son meilleur ami, Kalyn, est mit au courant, sa réaction est exemplaire. Loin d'être rebuté ou jugeant, il est au contraire même étonné de ne pas d'être fait mettre dans la confidence plus tôt. En outre, il sera le premier à défendre Jackson et pas contre un personnage quelconque, mais contre un autre ami, ce qui détonne beaucoup de courage. Il n'est pas simple de se confronter à ses amis. Kalyn est un personnage que j'affectionne pour son attitude envers Jackson, mais aussi de manière générale pour son amitié saine. Jackson, lui et leurs autres amis ne sont certes pas des anges, mais au-delà des fêtes trop arrosées et des trucs pas très légaux, ce sont de bons gars. Kalyn a en outre assez de sens critique pour percevoir le potentiel de Jackson et le pousser à poursuivre ses études avec lui, pour décrocher leur diplôme de niveau secondaire. Enfin, Jackson a même la délicatesse de demander à Jackson si cela le dérangerait qu'il courtise son ex, Tesha. Non pas que Jackson ait des droits sur Tesha, ce n'est pas la question, mais pour Kalyn, visiblement, il faut valider avec son ami si tout est "réglé" entre eux avant d'initier quelque chose. Ça détonne du tact et de l'empathie pour son ami. Ah oui! Et vers la fin, Kalyn a spontanément dit et je cite: "Jackson, je t'aime, mon pote." Un jour, je l'espère, tous les gars pourront se le dire, sans gêne se faire traiter de gay, sans la honte de se faire rire d'eux, sans toute cette saloperie de masculinité toxique à la con pour dévaluer l'importance de ces mots. En attendant, je me réjouis que des personnages comme Kalyn le fasse et brise ce stupide tabou de se dire "je t'aime" entre meilleurs amis.



Tomas m'a légèrement inquiétée au début, car je flairais un millionième cas de "Bad Boy" dans un roman romantique, mais en fait, on est dans un profil différent. Tomas a un passé troublé, comme la plupart des Bad boy, mais contrairement à ces imbéciles arrogants, il n'est ni imbécile, ni arrogant. Tomas est plutôt le genre de personnage qui a franchit une limite et qui en paie le prix Ah oui! Et vers la fin, Kaaintenant, à son grand regret, puisqu'il est en liberté conditionnelle. S'il a des facteurs de risque dans son environnement qui peuvent en partie expliquer ses erreurs, Tomas ne s'en sert pas comme excuses et ÇA, c'est aussi quelque chose que ces abrutis de Bad boy couillons qui gangrènent les relations amoureuses actuellement font systématiquement. Se trouver des excuses et ne rien changer dans leur exécrable façon d'être. Bref. Tomas est un jeune homme au tempérament doux, un esprit créatif qui se cherche encore sur bien des aspect, mais qui semble solide et sain quand à ce qu'il conçoit comme de l'amour. Il a un excellent radar à consentement, se montre plutôt patient, surtout face à l'ambivalence perturbante de Jackson, et possède une grande tendresse dans ses gestes et dans ses mots. Il n'est donc pas seulement "mignon", il est aussi un très beau modèle d'homme amoureux.



Quand à Jackson, au bout de tergiversations répétées, il fini par accepter qu'il est gay et vers la fin, admet même qu'une part de lui le sait depuis longtemps. S'il se répétait sans cesse qu'il était hétéro, c'était pour se convaincre. Ce mensonge était de plus en plus dur à vivre, alors qu'il en venait à penser qu'il avait des dysfonctionnement érectiles, puisqu'il n'a jamais pu bander lors de ses rapports sexuels avec sa copine. Il est plus facile de mentir à la psyché qu'au corps, manifestement. Jackson a aussi le profil de l'ado qui se cherche. Il a un talent en dessin qui vient se coupler merveilleusement bien avec le talent pour les histoires de Tomas. Je le répète souvent, mais avoir des intérêts et des projets communs sont des bases dans les relations amoureuses, et elles sont étonnamment souvent absentes des histoires d'amour. S'ajoutent à cela les diverses activités qu'ils ont pratiqués ensemble, le rapprochement culturel et leur capacité à communiquer sainement. Ils ont de belles bases pour leur relation, qui est complète et remplie de tendresse. L'attirance physique et sexuelle sont également présentes, mais contrairement à trop de romans "d'amour", elles ne sont pas les seules bases. Aussi, j'ai beaucoup aimé son retours auprès de Tesha, pour rectifier don "je ne t'aime pas" lancé un peu pas mal maladroitement, pour lui dire qu'il l'aime en tant qu'amie et qu'elle que contrairement à ce que ses mots laissaient entendre, il ne se fout pas d'elle. Belle communication, une fois encore!



Il y a aussi plusieurs personnages secondaires appréciables, notamment Levi et son humour, la maman de Jackson et son sens maternel solide, ainsi que Tesha, qui n'est pas devenue une teigne du fait d'avoir été rejetée, comme j'en croise beaucoup trop.



Un des thèmes du roman est la communauté, ici plus spécifiquement une communauté aborigène. J'ai trouvé très intéressant les diverses petites infos sur cette communauté, qui me rappelle beaucoup celles de mon pays. Surtout, le passage sur le "Cercle des hommes" était remarquable. Sorte de réunion des générations, on y fait diverses activités artistiques, les plus vieux faisant des marques de peinture sur le visage des plus jeunes, d'autres œuvrant sur des objets alors que d'autres s'adonnent à l'artisanat. Surtout, j'ai trouvé touchant la présence et l'écoute de l'oncle Charlie, voix de la sagesse, qui a permit à Tomas se faire une séance de purification dans le respect de leurs traditions, alors qu'il a offert son support et son écoute à Jackson concernant sa différence. Il importe pour les communautés de se tisser des liens, et c,est particulièrement important dans une communauté ayant de gros enjeux et ayant subit de terribles préjudices. Il fait aussi le dire: Ce genre de portrait change la perception de la majorité, en ce sens où dans un monde "blanc", il importe de montrer la vie des minorités de l'intérieur pour mieux les comprendre et favoriser le contact. Au Québec, c'est à cela qu'on s'attarde en ce moment, faire parler les premières nations, s'intéresser à leur culture et leurs arts, changer ces visions étriqués qui nous ont été imposées et qui ont servi une pensée raciste, intolérante et fanatique tiré du colonialisme et de croyances religieuses. Ce n'est que comme ça que le Vivre ensemble sera plus harmonieux, pour tout le monde.



Quand à la plume, sans la qualifier de poétique, elle est efficace et accessible. Il y a peu de descriptions sur les personnages et les lieux, mais il y a assez de descriptions sur le ressenti des personnages, ainsi que d'introspection de la part du narrateur. Je note également que la romance est relativement rapide, on parle de 2 ou 3 semaines de vacances, mais bon, ce n'est pas totalement improbable non plus.


Notez également que s'il y a des moments croustillants, Tomas et Jackson n'auront jamais eu l'opportunité de leur "première fois" en bonne et due forme. Ils se sont cependant exploré et embrasser plusieurs fois, ce qui marque tout-de-même une chose importante: Apprendre à connaitre le corps de l'autre! Malheureusement, dans plusieurs romans, j'ai constaté qu'on passait de premier baiser à relation sexuelle complète sans le moindre intermédiaire ou phase exploratoire, ce qui est franchement agaçant et révélateur, encore une fois, du manque de diversité dans les représentations de la sexualité. Et du désintérêt des autrices pour la sensualité et la tendresse, j'ajouterais. Enfin, je note que c'est finalement Tomas qui ne s'estime pas prêt pour leur "première fois sexuelle", illustrant pour une fois que même les gars peuvent ne pas se sentir confortable ou psychologiquement prêt face à la sexualité.



En somme, un très bon roman, pertinent, touchant, avec d'excellentes représentations romantiques et amicales, où la communication est bien présente et l'homosexualité n'est pas devenu un facteur de rejet social, au contraire. J'ajoute que j'ai peu de roman se déroulant en Australie, mais se déroulant dans une communauté aborigène, encore moins! "Quand tu seras prêt" rejoint mes favoris pour la qualité des relations interpersonnelles et ceux promouvant la diversité ethnique internationale.



Pour un lectorat à partir du second cycle secondaire, 15 ans+



**Pour les bibliothécaires et profs: La sexualité reste préliminaire et douce, il n'y a pas de scène particulièrement graphique ni de détails crus. Si des 12 à 15 ans souhaitent le lire pour mieux s'illustrer l'orientation et la sexualité homosexuelle sans tomber dans les aspects plus "poussés" comme le sexe oral ou la pénétration, je pense que ce roman peut leur convenir. Le racisme, s'il est présent, est dérangeant, mais pas scabreux, radical ou violent ( sauf pour une bagarre peu détaillée).



Shaynning

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