Tourner les pages de ce livre, c’est traverser le mois d’août, dans une grande bâtisse bretonne. Être d’abord ébloui par la lumière, la promesse de légèreté et le tourbillon d’insouciance d’un début de vacances. Puis, avancer dans les jours, s’apercevoir qu’ils rafraichissent et raccourcissent : l’obscurité progresse et la menace se fait jour.
Pierre Adrian nous plonge dans l’ambiance traditionnelle d’un été, dans une maison familiale depuis des générations, pleine d’oncles, de tantes et de petits cousins, autour d’une grand-mère presque centenaire. Les infimes détails du quotidien, « la clé (...) cachée derrière le pot », « le ronflement du frigidaire », le parquet qui craque, reconstituent délicatement l’atmosphère. Tout cela pourrait paraître convenu, avoir une odeur de stéréotype du bonheur en famille ou d’entre-soi d’« une bande de cousins et d’amis qui se [comptent] par dizaines », mais le regard tendre et lucide, ni naïf, ni mièvre de l’auteur instaure la bonne distance.
Distance douce et mélancolique, sur cette tribu et ce « jeu de cercle familial », « avec « leurs secrets, leurs manies, des codes que l’extérieur ne pouvait pas comprendre ». Etranges traditions, discussions inutiles - « tout ce qu’on disait ici était vain. », « relative indifférence » avec les immuables « quand es-tu arrivé ? quand repars-tu ? » qu’« on ne retenait jamais », qui donnent l’impression, au moment du départ, « d’abandonner la scène d’un théâtre ».
Mais est-ce justement parce que les moments de grâce sont éphémères qu’ils laissent « derrière [eux] des étincelles, un courant d’air tiède, le souvenir d’un grand fracas » et de cette façon, «ne meurent pas et vivent plusieurs fois » ?
Alors oui, peut-être vaut-il mieux parfois « s’enfuir avec les meilleurs souvenirs quand tout le monde est encore là » ?