Dans les dents !
Après avoir découvert Nelly Arcan et Mélanie Michaud et passage à Paris, j’étais entré dans l’excellente Librairie du Québec en demandant conseil pour d’autres lectures du style. Je me souviens avoir...
Par
le 14 août 2023
Quand un auteur québécois débarque en pleine rentrée littéraire hexagonale, il y a de quoi être confiant. Kevin Lambert et Querelle publié chez Le Nouvel Attila confirment-ils cela ? Lettres it be vous dit tout !
Une grève éclate dans une scierie du Lac-Saint-Jean, dans le nord canadien. Derrière une apparente solidarité ouvrière, l’ennui et la dureté de la lutte, que seules rompent les nuits dans les bars et karaokés, révèlent les intérêts plus personnels de chacun.
Parmi ces ouvriers, il y a Querelle, magnifique colosse venu de la métropole, et Jézabel, issue d’une lignée rebelle de mère en fille. Doux et charnels, ces héros incarnent la liberté, la jouissance et la joie sauvages, hors des lois du marché et de l’aliénation familiale ou sexuelle.
Au gré des sabotages, des duels et des ivresses, la colère s’empare des grévistes et les événements se conjuguent dans un conflit généralisé aux allures de vengeance sociale, qui rappelle Le Siegneur des porcheries, Jean Genet ou Kathy Acker.
À croire que le mouvement ouvrier et ses spasmes de lutte, que toutes ces couches de population qui s’amoncellent dans les territoires reculés d’ici et d’ailleurs, à croire que tout ça constitue la matière littéraire la plus intéressante en ce moment. On avait eu le livre de Joseph Ponthus À la ligne : Feuillets d’usine en janvier dernier, un livre qui semblait (déjà) faire écho à Leurs enfants après eux, le Goncourt 2018 signé Nicolas Mathieu. D’un écho l’autre, Querelle, nouveau roman de Kevin Lambert publié en France un an après sa sortie québécoise, semble être le fils illégitime de cette tendance littéraire. Et de fils illégitime à grand espoir de la famille, il n’y a qu’un pas…
L’usine et le lit. Chambre à coucher du capitalisme et chambre à coucher… tout court. Kevin Lambert donne à Querelle (Querelle de Roberval dans son titre original) ce cadre-là avec la ferme intention de sonder ce monde ouvrier, ses grèves et ses revendications par le prisme du quotidien et du banal. Des karaokés, des bouteilles et encore des bouteilles, des amourettes, des échecs et des fiertés discrètes, la plongée du lecteur est réussie, sans accroc. Mais tout aurait été trop « normal » si l’auteur s’était arrêté là. Et Querelle peut entrer en scène : ce personnage jouera, au gré des pages, le fil rouge d’une histoire bien plus forte qu’elle en a l’air. Quand seule la sexualité se débride dans une existence vouée au cadenas.
« C’est Noël et, dans les sous-sols, les cousins et les cousines se font tripoter par des monsieurs pendant que les autres jouent avec leurs nouveaux Lego. Demain, ils pleureront d’avoir mêlangé les briques. »
Pas un dialogue pour rompre le rythme, pas une étincelle d’espoir ou de lumière. De son fond à sa forme, Querelle est une surprise permanente. Mention spéciale, d’ailleurs, à ce chapitre page 149 où l’auteur s’invite dans son récit, entre sans toquer pour une parenthèse claire et nette. Ou comment assumer et justifier de tout l’intérêt d’un doctorat en création littéraire obtenu par l’auteur. On adhère. En plus, on croirait croiser Vernon Subutex ou Neal Cassady dans ce livre, des personnages qui auraient pris la voie de la lutte finale dans un monde aux fausses allures de fin du monde. C’est n’importe quoi ? C’est précisément pour cela que l’on adore.
Querelle est un roman sale, brut, un roman qui gêne aux entournures. Les premières lignes coupent le souffle, et les autres cassent la gueule. On a envie d’arrêter, on se dit que c’est quand même un peu n’importe quoi, puis on continue, le thorax noué, compressé… On arrive à bon port sans trop savoir où nous sommes et d’où nous sommes partis. Manifeste ouvrier et/ou sexuel ? Critique de la lutte ? Aucune idée… Mais ce qui est certain, c’est que l’on vient de parcourir quelques 240 pages de littérature en barre. Et si c’était précisément cela la marque des grands livres ?
Retrouvez la chronique en intégralité sur Lettres it be : https://www.lettres-it-be.fr/critiques-de-romans/auteurs-de-k-%C3%A0-o/querelle-de-kevin-lambert/
Créée
le 11 sept. 2019
Critique lue 271 fois
2 j'aime
D'autres avis sur Querelle
Après avoir découvert Nelly Arcan et Mélanie Michaud et passage à Paris, j’étais entré dans l’excellente Librairie du Québec en demandant conseil pour d’autres lectures du style. Je me souviens avoir...
Par
le 14 août 2023
Ici, la veine sociale n’est qu’un prétexte. Les patrons se comportent certes comme des enfoirés prêts à tous les coups fourrés pour briser la grève mais les travailleurs ne sont pas aussi unis qu’ils...
Par
le 8 mai 2023
"Querelle" traite des préjugés et des stéréotypes sur des tabous. C'est avec un discours marginal que Kevin Lambert dénonce les luttes sociales, dont les écarts de richesse entre les riches et les...
le 18 févr. 2023
Du même critique
Après Une vie sans fin, autobiographie transhumaniste pas vraiment captivante, Frédéric Beigbeder revient en librairie ! En bon communiquant, l’auteur n’a choisi rien d’autre qu’un smiley pour titre,...
le 1 janv. 2020
12 j'aime
Après Le suicide français paru en 2014 puis Un quinquennat pour rien deux ans plus tard, Eric Zemmour revient en librairie. Cette fois, le polémiste (ou présenté comme tel) propose un essai-fleuve,...
le 7 oct. 2018
11 j'aime
2
Après s’être confronté au roman noir avec Aux animaux la guerre paru en 2014 chez Actes Sud dans la collection Actes noirs, Nicolas Mathieu revient du côté des rayonnages « Littérature française »...
le 1 sept. 2018
11 j'aime
5