Ce livre de 1971, traduit de l'anglais par Françoise Marel pour Quidam Editeur (2003), fut ma première incursion dans l’univers littéraire de B.S. Johnson, qui, clairement, m'a donné envie d’aller beaucoup plus loin et de lire l'intégralité de son oeuvre traduite.
Sous la forme d’un exercice de style annoncé en introduction par l’Infirmière-Chef, au fil des neuf chapitres de ce livre, nous pénétrons dans l’esprit de huit patients d’un établissement gériatrique (qui mérite plutôt l'appellation d'hospice), du plus lucide au plus sénile, pour finir par une plongée dans l’esprit dérangé de l’Infirmière-chef.
Chaque chapitre reproduit à l’identique la même séquence temporelle, page à page, ligne à ligne, pendant laquelle les patients mangent, chantent, travaillent, et sont les témoins ou les participants des divertissements orchestrés par l’infirmière-chef.
Sous cette forme de monologues intérieurs et dialogues à une voix par chapitre, avec des blancs grandissants dans le texte, reflets des trous de mémoire et absences des patients, on entrevoit en quelques lignes les parcours de vie de ces vieillards, dans leurs mémoires en bouillie comme la nourriture qu’on leur sert ici, mémoire dans laquelle surnagent encore des filaments de vie de plus en plus épars ; nous sommes les témoins de la comédie absurde et par moments sadique que l’infirmière-chef autocratique fait exécuter à des patients qu’elle entend dominer du haut de ses obsessions, et de la lubricité toujours vivace de leurs chairs affaissées.
Livre du délitement, «R.A.S. Infirmière-chef», sous-titré «Une comédie gériatrique», est une vision à la fois drôle et terrible de ce qui se passe derrière les murs d’un hospice et derrière les crânes des vieillards, un livre fascinant où le texte fuit les pages qui blanchissent avec la béance de la vieillesse.