Un problème bien connu dans les milieux militants est celui de la mémoire des luttes. Travailleurs de 2023, une grande part des acquis légaux et extra-légaux que nous possédons aujourd'hui proviennent directement de ces luttes, ce qui implique qu'il faut évidemment continuer à entretenir le flambeau : d'une part, il reste énormément de terrain à conquérir, d'autre part, le camp d'en face est très structuré, très organisé, et a un rapport au temps différent du nôtre. Pour une dynastie, appuyer sur le même clou pendant 100 ans n'est pas impossible. Pour nous, résister demande un travail conscient de remotivation de la lutte, car on n'a pas vécu l'avant, on ne voit pas d'où on vient si cette mémoire n'est pas transmise. Cette question qui traverse l'histoire des dominés traverse du coup logiquement celle des femmes, peut-être de manière d'autant plus pernicieuse que la question s'invite nécessairement dans le cadre familial, dans un champ de bataille intime et omniprésent de la vie. Dans ce contexte, le livre de Mathilde Larrère fait d'autant mieux le taf que l'autrice met la question au centre de son ouvrage, et s'attache à relier les points. On parcourt ainsi plus de deux siècles de lutte, en évitant fort judicieusement les querelles de chapelle autant que possible. Le schéma du livre suit une double-présentation, à la fois thématique et chronologique, et se ponctue d'extraits et fragments essentiels, parfois de textes reproduits dans leur intégralité, donnant de la place autant à la culture institutionnelle qu'à la culture des slogans, des manifs, des chansons, des graffitis, des hashtags.
Le résultat, c'est un format ramassé, aussi pratique que frappant, qui invite à la (re)découverte de cette histoire aussi belle que sinistre, aussi enthousiasmante que terrifiante, celle d'héroïnes qui ont connu toutes les violences et qui en ont tiré la force de se battre pour elles-mêmes et pour les autres. C'est donc un ouvrage très facile à recommander et offrir pour ouvrir le débat et passer le flambeau, encore et encore. Car les luttes d'avant ne sont que le prélude de celles d'aujourd'hui, qui elles-mêmes annoncent celles à venir.