Le génial Jim Thompson, roi des coups tordus imaginés par des dégénérés du plus bel acabi, nous offre avec ce "Rage Noire" une version hard et hyperconcentrée de son talent. Alternant délire religieux, torrents de haine, blagues potaches et scènes purement pornographiques, "Rage Noire" s'avérera sans doute l'un des livres les plus malaisants que vous aurez l'occasion de lire, d'autant plus que son haïssable héros mérite indiscutablement toute notre compassion.
On aura certes envie de dire que Thompson en fait décidément trop, alignant incestes (au pluriel), bébé mort, nymphomanie, tortures et humiliations diverses, mais il n'est pas difficile de voir que, au delà de la rhétorique freudienne et du blasphème permanent, il s'agit ici de dresser un tableau lucide et accablant de la situation raciale et sociale américaine à l'aube des années 70... Et du coup, de passer outre l'horreur ricanante de cette fiction véritablement outrancière pour contempler, accablés, l'impossibilité radicale de l'Amour.
D'ailleurs, Thompson nous le répète, Dieu est fou. Comment pourrions-nous être sains d'esprit ?
PS : Honte à Rivages/Noir pour son quatrième de couverture - une citation de Alain Corneau - à éviter absolument de lire avant d'entamer le livre.
PPS : Il serait temps de nous offrir une nouvelle traduction française de la prose enragée de Jim Thompson, celle de 1988 sonnant particulièrement démodée et dépréciant la force du texte original !
[Critique écrite en 2018]