Ravage
7.2
Ravage

livre de René Barjavel (1943)

Y a des moments douloureux dans la vie. Ainsi, il y a vingt ans, lors de mes cours de littérature à la faculté, un de mes professeur avait présenté Ravage comme un brulôt de science-fiction aux relents pétainistes. (Le livre date de 1942.) Ce qui m'avait fait ranger Barjavel dans la case des auteurs réacs. Et puis, j'ai lu la Nuit des Temps, et l'Enchanteur et je me suis dit "certes, c'est un réac, mais il a quand même laissé de bons romans" et j'avais envie de lire Ravage histoire de voir si mon professeur se plantait. Un de mes camarades (Julien, si tu me lis) me l'ayant donné, j'ai donc entamé ce roman cet été pour me faire une idée.


Et autant dire, je partais sur un à-priori un peu négatif... et à la lecture c'est même pire que ça. Arrivé au premier tiers du livre je me suis carrément demandé si j'allais pas arrêter, histoire de ne pas être énervé devant un livre dont je savais déjà ce qui allait se dérouler. Et je me suis dit que comme le vin était tiré, il fallait le boire. De plus, (et c'est à son avantage) Ravage se lit assez vite et le style de Barjavel n'est pas lourd.


Alors, autant le dire, on est dans un livre dont le canevas va être beaucoup utilisé dans les années 70 par le genre du film catastrophe : créer un lieu représentant la toute puissance, puis tout détruire et raconter comment une poignée de survivant s'en sortent.


La punition de Dieu :

Ce qui énervait Barjavel c'était les villes et la technologie, du coup, il imagine un monde futuriste où les villes sont énormes, l'électricité gère tout, tout est en plastec (un matériel magique encore plus pratique que le plastique) et on a du lait qui coule des robinets. C'est un monde futuriste qui vaut ce qu'il vaut avec ses idées futuristes, ses avancées technologiques qui sont arrivées (la télévision) et ses idées débiles (garder les morts chez soit en les embaumant et en les miniaturisant) mais le but c'est surtout de se moquer du futurisme, de l'urbanisme (une partie se déroule à la Cité Radieuse) et du monde du divertissement.


On ne donne pas vraiment la raison pour laquelle tout s'effondre : du jour au lendemain l'électricité ne marche plus, les armes à feu explosent toutes et trois jours après c'est au tour des voiture. La raison est plus ou moins inconnues, même s'il est avancé à la fin du livre qu'il s'agissait d'une punition divine. Du haut de ses 31 ans à l'époque de l'écriture du livre, Barjavel faisait son vieux-con nostalgique :"ha ha, vous serez bien baisés si jamais l'électricité disparait du jour au lendemain" qui me consterne un peu. Le personnage principal (qui est censé être ingénieur) estimant que c'est "la Nature qui reprend ses droits."


Le héros est un connard :

D'ailleurs parlons-en de François Deschamps (parce qu'il vient de la campagne... clin d'oeil clin d'oeil) le personnage principal. C'est un gros con. Je hais chaque décision qu'il prend et le mec est plus proche du sociopathe que d'un être humain avec tout ce qu'il a d'empathie. François est un peu l'avatar de René Barjavel (lui aussi ancien campagnard) ce qui n'arrange pas les choses.


Pour un livre qui se présente comme "une histoire d'amour" (selon wikipédia) le personnage est totalement odieux avec Blanche, son amie d'enfance, au début du roman parce qu'elle a le malheur de vouloir être chanteuse ("métier qui ne me plait guère" dit-il dans une lettre qu'il lui envoie) et celui de s'être fiancé à un autre alors que c'est LUI qui devrait l'avoir. Alors, oui, Jerôme Seita, le fiancé en question est un peu décrit comme un gros con qui abuse de son pouvoir et sa fortune (notamment pour rabaisser François et lui couper l'eau et l'électricité.)


Mais... il se comporte bien avec Blanche : il est prévenant, il n'abuse pas d'elle, il va chercher un médecin parce qu'elle tombe en syncope. On aurait pu avoir une confrontation entre les deux facettes (l'homme de la ville et l'homme des champs) et montrer la raison pour laquelle c'est François qui hérite de la main de la belle..., mais Seita meurt d'un accident con, histoire de s'en débarrasser au plus vite.


A partir du premier tiers du roman Blanche tombe dans un état second d' une maladie qui ne touche que les jeunes filles vierges. Artifice qui en plus de souligner sa vertu (elle s'appelle Blanche... clin d'oeil, clin d'oeil) et permet d'en faire un simple objet que l'on déplace d'un endroit à un autre. Puis elle se rétablit et n'a plus qu'un rôle d'amoureuse du héros qui n'est là que pour lui filer des bisous.


Et du coup, François peut tranquillement mener sa vie de ... hé bien, de sociopathe. Le roman montre qu'il est amené à prendre des mesures difficile parce que les circonstances sont exceptionnelles, mais bon, on le voit laisser une femme tomber des escaliers sans lui prêter assistance (celle-ci finissant par mourir) parce qu'il veut aller rejoindre Blanche, abattre un vieillard à coup de poing parce qu'il a besoin de son cheval, ordonner de tuer des mecs qui leur ont volés de la bouffe (y compris lorsque ceux-ci ont capitulés et ne présente plus de menace) et mener un petit gang de survivant tentant de fuir la ville, dont il devient le chef parce que "le meilleur moyen de survivre, c'est de m'obéir." Le roman soulignant à quel point ces décisions sont bonnes et juste parce que c'est René... heu... François, le héros.


Un récit de survie :

D'ailleurs, ça fait un peu bizarre de lire des descriptions du peuple comme étant trop ignare pour agir en cas de crise (on y voit des femme abandonner leurs bébés pour fuir un incendie ou des gens n'osant plus partir de chez eux car engoncés dans le matérialisme) d'autant plus que Barjavel à vu les gens réagir en temps de guerre et que l'exode des personnages est le miroir de ce que l'auteur a vécu deux ans plus tôt lors de l'invasion de la France par l'Allemagne. (Peut-être que la morale est "si on vit une trop longue période de paix et de confort les gens finiront par ne plus savoir comment agir en cas de panique" ce que je trouve assez discutable mais logique avec le reste du roman.)


Arrivé à sa troisième partie, la caravane des survivants se retrouve face à l'incendie de Paris qui se propage à travers toute la France et ne laisse que de la cendre partout. C'est du récit de survie avec ses passages obligés : les personnages qui meurent, la famine, ceux qui deviennent fous, ceux qui se sacrifient pour le groupe, etc.... C'est relativement bien écrit, même si je suis circonspect quant à la partie du scénario qui se passe dans un laboratoire qui a servit à faire des expériences sur des fous pour leur filer des super-pouvoirs. Et je sais pas trop à quoi ça servait dans le récit à part continuer à faire un laïus sur "la folie de la science." (Surtout quand c'est lui qui l'invente.)


Travail famille patrie :

On m'avait prévenu que la quatrième partie était la pire du roman et je me croyais prêts. J'étais pas prêts.


Première page : Blanche meurt après avoir enfantée 17 marmots que lui a fait François, qui, devenu le chef de clan d'une grande partie de la France à instauré la polygamie obligatoire, et à l'age de 130 ans fait un gosse à une gamine de 18 ans qui est devenu sa septième femme. J'ai voulu prendre le livre et le balancer très loin de colère mais j'étais dans le bus et ça se fait pas de jeter de la mauvaise littérature à la tête des gens.


Du coup, le roman se termine sur ce sociopathe de François qui a instauré une sorte de dictature clanique un peu partout dans la France où les chefs de villages règnent une cinquantaine d'année. Les hommes sont obligatoirement polygames (le livre a bien écrit les mots "polygamie obligatoire") parce qu'il y a 4 fois moins de femme que d'homme. Les livres sont brûlés (mais le savoir de l'écriture est transmit à une élite gouvernante.) Le marchandage y est proscrit, les gens produisant ce dont ils ont besoin. (Parce que tout le monde est doué en tout et qu'il y aura plus besoin de faire des échanges.) L'alcool est interdit. Et il fait buter un mec qui a voulut créer une machine à vapeur parce que la technologie, c'est le mal. Le livre se finit sur 15 pages d'éloge de ce monde où tout le monde est heureux et tout est bien dans une société revenue à la nature.


Non seulement cette vision complètement idyllique d'une société à mi-chemin entre le féodalisme, les système de tribut gauloise et la France campagnarde du XIXe siècle, est ultra-ultra-réactionnaire mais le pire, c'est que cela fait l'éloge de François. François devenu le patriarche que tout le monde aime, François le juste dont les décisions sont toutes bonnes, François et ses 7 femmes qu'il satisfait une fois par jour (même une femme à moustache, monsieur est trop bon.)


Hé, René, tu serais pas en train de te palucher en fait ?


Bref :

Je hais ce livre. Le pire c'est que c'est pas mal écrit et ça pourrait paraitre comme un roman grinçant d'un auteur excédé par la technologie qui s'amuse à détruire un monde de sf remplit de tout ce que lui n'aimait pas. On aurait pu en rester là s'il n'y avait cette fin qui fait limite office de tract politique pour le retour aux "bonnes vieilles valeurs d'antan." Et ce, durant la même période que le gouvernement de Vichy (que Barjavel n'aimait pas particulièrement mais ça n'empêche pas de partager une partie de son idéologie ainsi que le gout pour les autodafés.)

Cerise sur le gâteau, l'édition sur laquelle j'ai mis la main est augmenté de pages destiné à simplifier l'oeuvre aux plus jeunes (qui fait lire ça à des gamins ?) avec un résumé de la vie de l'auteur et une explication de texte dont j'ai vite abandonné la lecture car n'offrant rien de pertinent ("A la fin, l'auteur met en scène un monde qu'il juge idéal" Sans blague Sherlock.)


Au moins je l'aurais lu en entier.

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le 26 sept. 2022

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