Ravage est un classique de la littérature de science-fiction française. Extrêmement célèbre, il n'en ait pas moins méprisés et critiqués. J'avais lu ou entendu certaines de ces critiques et j'entamai la lecture du roman de Barjavel avec une certaine appréhension, mais aussi de la curiosité.
Je fus longtemps dubitatif en découvrant l'histoire de François Deschamps et de ses compagnons. Je n'y trouvai pas de grandes références à l'idéologie pétainiste. J'avais pourtant cru comprendre que le livre en était empli.
L'histoire racontée dans Ravage se situe en 2052. C'est une époque de grand modernisme. Les hommes vivent presque tous dans de grandes cités composées de gratte-ciels atteignant des hauteurs vertigineuses. Le ciel est empli d'avions, fruits d'une technologie extrêmement avancée. Dans les rues roulent des véhicules électriques, les villes sont reliées par des trains rapides et incassables. L'homme, pour se nourrir, mange des denrées produites dans des usines dans avoir à cultiver les plantes ni tuer les animaux. Il y a l'eau chaude et froide et le lait courants dans les cuisines. En somme, loin de nous décrire une société utopique, Barjavel présente une société plausible pour un homme du début du 20ème siècle.
Mais voilà que ce monde s'écroule soudainement, comme frappé par la main de Dieu, lorsque l'Empereur de l'Amérique du Sud déclare la guerre aux nations de l'Amérique du Nord. L'électricité n'est plus, le fer devient cassant, les hommes sont livrés à eux-mêmes, à leurs propres compétences et leurs propres forces.
François Deschamps, jeune homme originaire d'une des ultimes régions agricoles de France, la Provence, est venu à Paris pour terminer ses études. Il y retrouve Blanche, son amour d'enfance, qui s'apprête à devenir une star de la radio/télévision. Mais la catastrophe s'abat et François va sauver Blanche et fuir Paris avec d'autres hommes et femmes rencontrés en ces temps de malheurs. Ils affrontent les dangers d'une capitale de France ravagée par le feu et les pillards, puis une campagne détruite par un gigantesque incendie, attisé par une canicule sans pareille.
Si Ravage a une seule qualité, c'est de démontrer le talent certain qu'a René Barjavel pour décrire une population livrée à elle-même, retournant presque à l'état sauvage. Les Parisiens deviennent hystériques lorsqu'ils découvrent qu'ils vont manquer de nourriture, d'eau et de lait. Ils se livrent au pillage, se montrent cruels, deviennent imbéciles. On ne peut nier que Barjavel fait preuve de beaucoup de justesses pour décrire ces pauvres hères livrés au malheur.
Mais Ravage possède surtout des défauts. On occultera le fait qu'il soit ancien, un peu démodé. Ce n'est pas un problème. C'en est un par contre que le choix d'un personnage misogyne (à l'image de la société de 2052, technologiquement moderne mais socialement réactionnaire) et violent. En effet, tout au long du récit, Barjavel évoque l'idée qu'une bonne femme est une femme au foyer, obéissante et dévouée envers son homme. De même, à chaque fois que François est confronté à un problème, il le résout avec une violence certaine, jamais refreinée. Il n'a pas peur de tuer, et ne s'en prive pas, animaux comme humains.
Les pérégrinations de François Deschamps et de ses compagnons s'achèvent lorsqu'ils atteignent le village natal de Blanche et du héros. L'histoire aurait pu s'arrêter là et Ravage aurait été un roman honnête. Avec la dernière partie, intitulée Le patriarche, il devient malsain.
Le livre pourrait parfaitement ne pas disposer de cet épilogue dans lequel s'étale les idées pétainistes de Barjavel. Il y décrit une nouvelle société polygame, autour d'un chef spirituel et tout-puissant, dans laquelle on détruit les livres. Une société qui revendique le « Travail, Famille, Patrie » du régime de Vichy.
On peut imaginer que Barjavel a rajouté à la fin de son livre Le patriarche pour plaire aux autorités françaises de 1942-43. Qu'il n'a défendu les idées de Pétain comme le firent d'autres artistes que pour gagner son pain, mais sans y adhérer vraiment. Pourtant, tout le déroulement du roman nous amène à cette conclusion plus que fâcheuse : la présentation d'un gouvernement fantoche, composé d'incompétents qui ne savent pas faire face à la catastrophe et qui est renversé pour faire place à la société patriarcale de Deschamps. En somme une allégorie de la Seconde Guerre Mondiale : la société dépravée du début du 20ème siècle, ne répondant que par une science rendant les hommes imbéciles, écrasée par une force bien plus grande, pour laisser naître celle de Pétain, vertueuse, courageuse et que Dieu lui-même soutient.
On comprendra donc que Ravage, s'il peut être considéré comme un classique, ne doit pas être une référence. Il est intéressant de le lire, pour ces raisons. Mais ce n'est pas un bon roman car il véhicule des idées trop malsaines pour profiter d'une quelconque indulgence du lecteur.