Ravage
7.2
Ravage

livre de René Barjavel (1943)


Des épaules nues, des bras ronds de l'adolescente montaient une lumière et un parfum de moisson. Dans leur nid de dentelles, ses deux seins semblaient deux pigeons blottis.






On regardait avec effarement ces noctambules en tenue légère, que le croissant de lune, dans un ciel extrêmement pur, éclairait d'une lueur blême. La réalité quotidienne avait disparu, laissait la place à l'absurde.






Ils descendirent dix étages de sous-sol, se trouvèrent à bout de marches, se heurtèrent dans le noir à des machines silencieuses, encore tièdes, promenèrent leurs mains tremblantes sur les aciers immobiles, se perdirent dans les salles de cette usine démesurée, cherchèrent l'escalier pour remonter, ne le trouvèrent plus, tournèrent dans la nuit, appelèrent, n'éveillèrent que d'autres voix perdues et des échos lointains, marchèrent jusqu'à l'épuisement de leur espoir, s'écroulèrent dans quelques coins de ce labyrinthe de ténèbres, éperdues d'étonnement et d'horreur. Ils ne voulaient plus rien tenter, ils ne pouvaient plus. Ils attendaient la lumière ou la mort.






Tout ce que ce peuple connaissait, ce qu'il aimait, ce qu'il touchait, ce qu'il mangeait, chair, étoffes, bois, murs, la terre, l'air, tout, transformé en flamme, en lumière, était dans cette odeur. Une odeur dont nul ne pourra se souvenir, car rien ne la rappelle, mais que personne n'oubliera, car elle a brûlé les narines, séché les poumons. C'était une odeur de monde qui naît ou qui meurt, une odeur d'étoile.






Au nord, le ciel était une mer où roulaient d'énormes vagues de lumière et de ténèbres. La fumée retombait parfois vers le sud, effaçait de grands pans d'étoiles et barbouillait la lune.






Ils étaient couchés, tordus encore de la dernière souffrance. Le vent avait rempli de cendres les ventres noirs crevés et les bouches ouvertes. Parfois une côte, une omoplate livide, perçait une poitrine de ténèbres. Un tibia tendait son manche de gigot brûlé. Un visage de charbon montrait ses dents à la lune.






Ses bras nus ont la même couleur chaude que le cuir qui couvre ses cuisses. Quand il fait un mouvement, ses muscles roulent sous sa peau comme les vagues endormies sous la mer calme.


Zenigata

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