Montfort-L’Amaury à la toute fin de l’année 1927. Dans sa petite maison étroite du Belvédère, aujourd’hui transformée en musée sis au numéro 5 de la rue qui porte désormais son nom, Maurice Ravel ferme le gaz, vérifie les fenêtres et tout le toutim avant son départ. On l’attend : on l’accompagne à la gare Saint-Lazard où il doit prendre le train pour le Havre. De là, il traversera l’Atlantique pour la première fois à bord du paquebot France pour une grande tournée aux Etats-Unis ainsi qu’une incursion sur le sol canadien.
On découvre un homme élégant âgé de 52 ans. Presque un dandy prêtant une attention scrupuleuse à ses chapeaux, costumes, cravates et souliers vernis. Un homme tiré à quatre épingles portant une canne à son bras et une cigarette dans la main droite.
Ravel – à une seule exception, Echenoz ne le nomme jamais que par son patronyme –, Ravel est un artiste en vogue, applaudi dans le monde entier et courtisé. Ses concerts et les soirées auxquelles il apparaît sont toujours des réussites mondaines. On se presse autour de lui, poignées de main, compliments sincères et empressés, autographes. La tournée américaine est épuisante et triomphale.
Mais Ravel n’est pas imbu de lui-même. Il rit au contraire lorsqu’on lui répète les mots – parfois injurieux – que tel ou tel jaloux a tenus sur lui : « je ne peux lui donner tout à fait tort » commente-t-il moqueur. Ravel travaille, fait de nombreux aller-retour entre Paris et son havre montfortois et se rend régulièrement au Pays Basque, sa terre natale.
A l’été 1928, Ida Rubinstein lui demande d’orchestrer la musique d’Albeniz pour un ballet dans lequel la riche danseuse russe doit se produire en octobre prochain. Ravel accepte le projet mais s’inquiète du fait que la musique du pianiste espagnol n’est pas libre de droit. Tant pis ! Le ballet ne sera pas sur de la musique ibérique mais française : Ravel reprend sa plume pour composer un arrangement rythmique, enlevé, aux motifs répétitifs. De l’orchestration davantage que de la musique dont Ravel ne fait pas grand cas. Pourtant, le succès de l’œuvre est retentissant : à sa grande surprise, son Boléro le propulse au sommet de la gloire.
Après cette genèse, le lecteur assiste à celle du Concerto pour la main gauche, écrit spécialement pour le célèbre pianiste Wittgenstein, manchot de son état.
Echenoz, à travers son livre, retrace les dix dernières années de la vie de Maurice Ravel, du triomphe américain à la maladie neurologique qui le réduisit peu à peu au silence jusqu’à sa mort en décembre 1937. On (re)découvre un artiste de talent épuisé par des insomnies récurrentes et décrit subtilement par un autre artiste non moins talentueux. Fidèle à lui-même, Echenoz use de tous les artifices qui lui sont habituels pour passionner le lecteur : humour pince-sans-rire, concision littéraire, euphémisme, dérision, ironie. Style lapidaire que j’aime tant. Le personnage de Ravel est très intéressant et m’a bien plus accroché que celui de Tesla romancé à travers le personnage de Grégor dans « Des éclairs ». Et si Ravel avoue s’ennuyer à l’occasion, le lecteur lui, ne peut lâcher son bouquin avant d’en avoir atteint le point final.
Monsieur Echenoz : je vous aime (en tout bien, tout honneur, cela va de soi).
Si à la suite de cette lecture il vous prend, comme moi, l'envie de vous (re)plonger dans l'oeuvre de Ravel, voici quelques morceaux rencontrés dans le livre :
Le Boléro, évidemment :
http://www.youtube.com/watch?v=KK23BhEQVyU
Concerto pour la main gauche :
http://www.youtube.com/watch?v=7w7vIQe4HU0
Sonate pour violon et piano :
http://www.youtube.com/watch?v=FoZYRzLKmRc
Et même si on ne l'évoque pas dans ce livre car bien antérieure à la période considérée, je ne peux résister à coller ici un lien vers l'oeuvre de Ravel que je préfère (et de loin) : Pavane pour une infante défunte :
http://www.youtube.com/watch?v=GKkeDqJBlK8
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