Incontournable Juillet 2022


"Réception, bonjour!" est le premier tome d'une série états-unienne "Motel Calivista", de l'autrice Kelly Yang, inspiré de sa vie et de son expérience réelle à la réception d'un motel avec sa famille, immigrés de Chine, dans les années 90. Lauréats de plusieurs prix et largement salué, il présente une incursion touchante dans un univers que l'on connait peu de l'intérieur et mettant en lumière la face sombre de l'immigration aux États-Unis, qui n'est pas toujours la terre d’accueil espérée par beaucoup d'immigrants. Cela dit, à bien des égards, ce récit est une véritable pépite d'espoir.


Je précise ici que deux maisons d'éditions ont conçu des versions francophones, la maison canadienne Scholastic et la maison française Albin Michel. On les distingue facilement avec la couverture présentant une variation ( le comptoir de la réception est invisible pour la version Scholastic) et le titre est simplement "Motel Calivista" pour l'édition Albin Michel. Un tome 2 est paru en 2021 en anglais.


Alors que sa famille arrive en sol États-Unien avec à peine 200$ en poche et des espoirs pleins le cœur, Mia Tang, dix ans, participe déjà aux entrés financières de celle-ci. Après avoir été licensés sans ménagement d'un retaurant, la famille Tang croit avoir trouver le travail parfait dans un Motel, le Calivista. Monsieur Yao leur promet un salaire décent et un toit gratuit. Hélas, il s'avère que Monsieur Yao est avant tout heureux d'avoir trois employés pour le prix d'un, qu'il paie à peine et leur fait même payer des charges supplémentaires normalement à la responsabilité du propriétaire. Dans cette amérique capitaliste et inégale, les immigrants sont des victimes faciles. Ils ignorent généralement leurs droits, sont souvent traités comme des citoyens de seconde classe, parfois par ceux-là même qui sont issus de l'immigration d'autres générations. Mia travaille à la réception, malgré son âge, et si elle se montre serviable et débrouillarde, la jeune fille est exposée à des clients pas toujours faciles, ni même honnêtes, le racisme de certains ( dont la police) et aux exactions de Monsieur Yao, qui abuse de ses parents presque autant que de certains usagers permanents. Cependant, c'est aussi une famille solidaire et joyeuse qu'elle va trouver chez ces derniers. Mia navigue entre l'univers de son école et du Motel, entre son intérêt pour la langue anglaise, ses espoirs de petite fille et sa puissante soif de justice. Elle se découvre un pouvoir d'agir à travers les lettres qu'elle écrit, ce qui lui permet de sortir quelques personnages du pétrin. Les petits bonheur quotidiens côtoient de près les profondes iniquités sociales de son pays d’accueil, dans une Californie encore très raciste et où la solidarité entre pauvres reste le principal filet social. Malgré toutes les péripéties éprouvante, spécialement pour une enfant, Mia et ses nombreux alliés parviennent malgré tout à se battre pour un avenir plus radieux.


Il y a tellement de choses que nous pourrions traiter dans ce roman que la tête me tourne encore. Je vois de plus en plus de personnages immigrants en littérature jeunesse et le libraire jeunesse que je suis s'en réjouit beaucoup. Rare sont toutefois les romans qui traitent de manière aussi profonde des iniquités sociales, des classes sociales et des enjeux raciaux sans prendre de gants blancs. Les malheurs auxquels sont confrontés les divers personnages sont profondément révoltants et met en évidence les grosses failles en matière d’accueil des immigrants du pays, ainsi que de la nature des iniquités sociales. Aussi, si je vois souvent les enjeux raciaux liés à la communauté afro-américaine, la plus largement représentée en littérature jeunesse, je vois très peu de représentants des communautés asiatiques, latinos ou même est-européenne. Alors entendre enfin parler d'une famille issue de la Chine, c'est un grand pas en avant!


Il ne faudra guère attendre longtemps dans le récit pour trouver des éléments questionnables. Déjà, je ne vois pas pas en quoi c'est normal pour une enfant de dix ans de travailler. Le pire est le fait que les clients qui ont affaire à elle à la réception ne semble même pas s'en formaliser ou s'en étonner. Ensuite, les conditions de travail qui relèvent de l'exploitation pure et simple ont de quoi choquer. Néanmoins, pour des arrivant qui ne maitrise pas la langue et ne possèdent encore moins pas les notions de Droit du travail, cela n'a pas de quoi étonner. Ce qui est triste, je trouve, est le fait que ce sont souvent d'autres immigrants, de seconde ou de troisième génération, qui abusent des immigrants fraichement débarqué. Un foutu bocal à requins! À cela s'ajoutent les "usuriers", qui prêtent à des taux exorbitant aux gens désespérés, allant même jusqu'aux abus physiques en cas de non-paiement. Les immigrants semblent, de surcroit, livrés à eux-même, sans filet social pour les protéger. J'espère que la Californie actuelle n'en est plus là, mais j'en doute.


L'autre gros élément marquant du roman est l'omniprésence du racisme. Je précise que c,est un rare roman à aborder le racisme dans sa forme large, pas seulement celle qui concerne la communauté afro-américaine, surreprésentée dans les romans ayant le racisme comme thème central. Les états-uniens ont un lourd passé en la matière, certes, mais ce que j'en vois ici concerne pratiquement tous les groupes ethniques. Quand j'ai vu cette prof parler à Mia comme si elle avait une déficience intellectuelle du fait de son origine était autant un acte raciste que ces policiers qui ont fait du profilage raciale à l'endroit du personnage Hank, de peau noire. La façon de croire que les chinois sont de tel ou telle façon ( par exemple "bons en maths") est aussi raciste. Attitrer un attribut comportemental, social ou intellectuel à une personne du fait de son ethnie est un préjugé et un acte raciste. Et il y en a beaucoup, dans cette histoire, pas seulement envers les chinois, mais aussi les hispaniques et les Noirs. Et ce, même entre eux.


Sur une note plus légère, nous avons une formidable fenêtre sur la culture et les moeurs de la Chine. Cette parenthèse sur les additions au restaurant était amusante et traduisait assez bien une différence de mentalité. Le rôle des policiers, la façon d'appeler "oncle" les gens proches des parents ou les policiers, l'hospitalité spontanée, le sexisme ( un garçon a plus d'utilité qu'une fille), sont tous des éléments notables. Il y a aussi quelque chose de paradoxal entre les visions des deux pays. Ce que je veux dire est que pour bon nombre de chinois, l'Amérique ( à comprendre les USA, très souvent) est une terre "libre", mais leur notion de liberté est souvent rudement mise à mal quand ils arrivent dans le pays concerné. Ce phénomène arrive dans beaucoup d'autres pays, comme si les USA était la terre promise par excellence. Quel désenchantement, une fois arrivés. Plusieurs personnages chinois évoque que devenir "riche" en Chine communiste est impossible, alors que tout l'est aux USA. Comme l'a expliqué l'autrice dans sa rubrique, à la fin, le temps a plutôt confirmer la tangente inverse. Avec le développement industriel en Chine, capitaliste malgré ce qu'en dise le Parti Communiste, a rendu des chinois très riche, alors que des immigrants éduqués sont devenus des citoyens pauvres aux USA. Un paradoxe, donc. La Chine est d'ailleurs souvent décrite comme un pays du Tiers-Monde très pauvre par les américains, même les chinois immigrés. Il y a beaucoup à dire sur ces deux pays, qui ont des préjugés parfois énormes entre eux. Un dernier élément notable de la culture chinoise est celle évoquée par Mia sur l'enfance. Alors que pour les américains l'enfant se doit d'aller à l'école et jouer, les enfants chinois sont scolarisés plus tôt, mais travaille aussi très tôt, avec une boutade fait aux filles sur la pertinence de les scolariser.


L'école, ah oui, est aussi un terrain propice aux iniquités. Les disparités de classe sociale peuvent être majeures, et cela va s'accentuer avec les années de scolarités. On évoque la difficulté de certains groupes à gagner le stade universitaire, les écoles privés prestigieuses qui font ombrage aux jeunes scolarisés en écoles publiques. L'accessibilité scolaire est loin d'être pour toutes aux USA, il n'y a pas de système de scolarité universelle, comme dans plusieurs pays développés. L’ennui est que cela perpétue la pauvreté sur des générations, déjà souvent vulnérables. Le fameux "manège de pauvre" vs "manège de riches" évoqué par Lupe , l'amie hispanique de Mia, dont la famille modeste connait des enjeux similaires à celle de Mia. On aura aussi la disparité matérielle, que ce soit au niveau des vêtements que des fournitures scolaires. Comme il était touchant de voir Mia considérer son crayon à 5,99$ comme un objet précieux, ça remet certaines choses en perceptive, n'est-ce pas? Même le fait de porter des vêtements de friperie, alors que les autres étudiants portent des jeans, avait son importance et suffisait pour s'en moquer. Les enfants sont souvent bien cruels avec les jeunes qui présentent des différences, alors imaginez pour une jeune chinoise vivant sous le seuil de pauvreté, dont la langue maternelle est le mandarin?


J'abordais plus haut la différence de culture et je souhaite aborder ici la différence parentale. Attention, je ne dis pas que tous les parents chinois pensent comme ceux de Mia, ils ont leur personnalité et leur expérience propre, évidemment, mais leur façon de traiter leur fille découle tout-de-même partiellement de leur culture chinoise. Déjà, permettre à leur enfant de dix ans de travailler est un élément sans doute culturel et socio-économique, mais à cela s'ajoute, je pense, leur conception quand aux attentes. La mère de Mia, tout spécialement, à des attentes, parfois assez sexistes, quand à sa fille. Déjà, elle admet volontier que Mia ne pourra jamais équivaloir ses camarades "américains" nés au pays en matière de langue. Pour elle, Mia ne sera jamais anglophone. Comme ce doit être terrible se se faire dire que jamais son écriture ou son langage ne sera décent. Même le personnage de Jason, chinois né aux États-Unis, jouit d'un statut différent de par sa "langue maternelle" anglaise. Pire, il se dissocie des "chinois" en mentionnant son origine Taïwanaise, comme si de toute manière, il ne serait même pas du statut de Mia par cette différence. Pour ceux et celles moins familiers, Taïwan est une île "chinois" qui est auto-gerée. Ni une réelle partie de la Chine ni à proprement parler souveraine, elle est une sorte d'entre-deux.Les chinois ont vraiment un statut peu flatteur aux USA, même ceux qui ont quitter leur pays justement pour des raisons politiques. Bref, pour en revenir aux parents de Mia, la maman met une pression sur Mia concernant les mathématiques, parce que Mia y est douée et la décourage des Lettres, prétextant que de toute manière, elle n’équivaudra jamais le niveau linguistique d'une "vraie américaine". C'est peut-être une façon de faire progresser sa fille là où sont ses forces, mais c'est justement une mentalité très employée dans le régime communiste. Au contraire, dans un "système libre", les gens peuvent choisir de développer d'abord leurs intérêts, non pas leurs forces innées. Le papa de Mia me semblait plus réceptif sur cette question, d'ailleurs.


Puisque je traite des parents, je note que nous voyons un autre parent assez souvent. Il s'agit de monsieur Yao, le propriétaire exploiteur et cupide, qui est aussi terrible avec ses employés qu'avec son garçon. Il fonctionne aux insultes et au dénigrement. Le personnage de Jason, son fils de 10 ans, pas super sympa, est peut-être membre d'une famille riche, mais honnêtement, il doit être bien malheureux.


Un des aspects que j,ai apprécié est justement le nuancier des personnages, ni blanc ni noirs, avec chacun leurs travers, leurs faiblesses et leurs enjeux. Ils évoluent, ils ont leur moment de vulnérabilité et leurs rapports se modulent au rythme de leurs interactions. Mia et Jason sont particulièrement chien et chat, mais s'ils semblent avoir souvent des moment de connexion, ils sont aussi souvent en conflit. Même constat pour Mia et Lupe, qui ont de fréquentes mésententes, mais ont le courage de s'excuser pour progresser dans leur relation. La relation de Mia avec sa mère est souvent conflictuelle, la maman étant défaitiste et rigide, alors que Mia est optimiste et souple d'esprit. Mais elles ont un caractère coriace similaire. Hank est un de mes personnages préférés. Il vit du racisme de manière très frontale, malgré une nature douce et une grande empathie. Il ne colle absolument pas au stéréotype du criminel de rue, mais il est traité comme tel. C'est un des piliers de Mia, un facteur de résilience majeur et apporte beaucoup de lumière dans la vie de la jeune fille. Comme un oncle particulièrement bienveillant.


Mia est une héroïne comme j'en souhaite plus dans la littérature jeunesse. Elle est compatissante, alerte, persévérante, créative, travaillante, astucieuse, sensible et intelligente. Très intelligente dans ses réflexions, en fait, ça m'a étonnée plusieurs fois de voir une maturité pareille. Mais dans son contexte, cela s'y prête sans doute bien, car elle est confrontée à des réalités parfois brutales et vit des expériences confrontantes. Les enfants qui ne vivent pas dans le confort et sont exposée à des réalités sociales complexes ont sans doute une sensibilité et une maturité qui se développe plus rapidement. Il fait aussi dire que madame Yang a fait l'université à treize ans, ce qui dénote un potentiel cognitif bien au-dessus de la moyenne. Si Mia est une version fictive de sa personne, fort à parier qu'elle a des cognitions similaires. Ne vous en étonnez pas , en somme.


Sur le plan du décor, j,apprécie la présence des détails, des anecdotes et de la richesse des péripéties. En peu de mots, l'autrice ratisse large et en quelques scènes, elle dresse un portrait complexe. Il y a un talent dans ce roman à traiter le quotidien et le drame en même temps. J'ai lu ce roman pratiquement d'une traite, embarqué dans les aventures et mésaventures de Mia aussi surement que dans un roman fantastique. Il y a avait temps de nouvelles perceptives et de péripéties hors-normes que s'en était passionnant. La solidarité côtoyait individualisme, la joie côtoie le drame. C'était inattendu, drôle, critique, joyeux, déconcertant, humain.


Sur le plan de l'écriture, les comparaisons étaient amusantes et les émotions faciles d'accès. Une plume efficace, sans vraiment de fioritures, mais précise et fluide. Ça respirait le vécu, sans doute condensée, mais sincère.


C'est le genre de roman qui ne laisse pas indifférent et laissera sa marque après sa lecture. Si l'histoire de Mia est semée d'embuches et d'injustices, il est orienté sur l'espoir et ce que l'humanité peut faire de mieux. S'unir, s'épauler, tâcher de se comprendre et se montrer bienveillante. Il y a une belle tribune à la solidarité dans ce roman, pas seulement entre gens du même âge, groupe ethnique ou appartenance, mais justement dans une mosaïque de tout ces gens.


Vous trouverez à la fin du roman:
-Des notes de l'autrice
-Des pistes de réflexion sous forme de questions
-Une rubrique traitant de l'importance des bibliothèques dans la vie de l'autrice
-Les remerciement de l'autrice


Un roman à mettre dans toutes les écoles et les bibliothèques jeunesse.


Pour un lectorat du troisième cycle primaire, 10-12 ans, en montant.


P.S pour les bibliothécaires et les profs, histoire que vous le sachiez, le fait d'aborder le racisme et les préjugés raciaux n'implique pas de termes potentiellement sensibles dans ce roman.

Créée

le 2 juil. 2022

Critique lue 26 fois

Shaynning

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