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La première partie du livre vise à tirer une sorte de caricature de l’antisémite, qui à certains égards me paraît juste, avec le postulat - assez déconcertant- que si le Juif n’existait pas,...
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le 4 avr. 2021
La première partie du livre vise à tirer une sorte de caricature de l’antisémite, qui à certains égards me paraît juste, avec le postulat - assez déconcertant- que si le Juif n’existait pas, l’antisémite l’inventerait (phrase que l’on a sûrement tous déjà lue mais que Sartre arrive très bien à prouver). Il met ensuite en avant le caractère obsessionnel, voire sexuel, que peut prendre l’attention disproportionnée portée par l’antisémite au Juif (pseudo-théorie fréquemment utilisée par les antisémites, faut le savoir hein). Le premier chapitre est le moins convaincant et le plus empreint de la subjectivité et de la partialité dont il fait preuve. Idem pour sa théorie selon laquelle le Juif est par définition intéressé par l’argent non pas seulement pour sa dimension conceptuelle (titres et autres), mais pour son universalité (troisième ou quatrième chapitre je ne sais plus trop). Certaines de ces remarques quant à la capacité et la propension qu’ont certaines composantes de la communauté juive à conceptualiser et à se juger avec une « lucidité et une sévérité déconcertante » sont très probablement vraies.
La seconde partie du livre (grosso modo à partir du deuxième chapitre) est la plus féconde et riche en concepts. Il introduit la notion de liberté en situation, qui permet de définir la situation du Juif, mais aussi et surtout celle de l’antisémite. La notion d’authenticité est particulièrement intéressante à développer à l’aune de la question sioniste et la manière dont se comporte l’écrasante majorité de la population israélienne et dans quelle mesure l’authenticité juive est le revers de l’antisémitisme européen.
Le 4ème chapitre est aussi intéressant à exploiter pour juguler l’antisémitisme. Sartre explique que « les lois n’ont jamais gêné et ne gêneront jamais l’antisémite » et qu’il est insensé de s’atteler à sa liberté, mais qu’il faut changer sa situation et les choix dont il dispose. Contre le morcellement de la société, dont l’antisémitisme est le fruit, Sartre propose naïvement une société au sein de laquelle les intérêts de chacun (Juifs et non-Juifs) convergent et où les ces derniers ont le choix entre assimilation et sionisme.
A cette théorie peu convaincante, les vues assez hétérodoxes et peu connues de Carl Gustav dans sa correspondance avec Erich Neumann sur le judaïsme dépasse les solutions envisagées par l'ouvrage et il développe à contratrio l’idée que « l’individualisation et la rationalisation névrosante de l’assimilation ont provoqué une contre-offensive compensatoire sous la forme du sionisme régénérant » (JUNG Carl Gustav et NEUMANN Erich, Correspondance Zurich-Tel Aviv (1933-1959), Paris, Editions Imago, La compagnie du Livre Rouge, 2018, p. 99) tout en s’opposant au « collectivisme communiste » que Sartre nous propose à la fin du livre.
Je relirai certainement le livre que j’ai trouvé très intéressant, particulièrement pour les réflexions finales sur l’antisémite et le fait de dire que l’identité juive soit intrinsèquement liée à l’antisémitisme. Cette dernière prémisse a comme conséquences de désacraliser et rationaliser les différences entre Juifs et non-juifs sur le territoire européen (comme le propose Shlomo Sand de manière plus péremptoire et virulente) et malheureusement déresponsabiliser (à mon sens) les Juifs en disant que « [leur]situation est telle que tout ce qu’il[s] [font] se retourne contre [eux] ».
Bref, une œuvre qualitative, qui, sur le fond et la forme est révolutionnaire, en dépit des critiques politiques que l’on peut rétrospectivement lui adresser.
Créée
le 4 avr. 2021
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le 4 avr. 2021
Vous pouvez trouver ma critique de ce livre ici .
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