Deuxième volet de la trilogie de Leïla Slimani, Regardez-nous danser raconte la construction de la nation Maroc à partir de l’histoire de la famille d’Amine et de Mathilde à Meknès de 1968 à 1974. Inspirée par l’histoire de sa famille, la lauréate du Prix Goncourt a choisi de construire sa saga autour de dates significatives. A peu près dix ans pour raconter Le pays des autres premier volet avec l’exil de Mathilde, débarquée de son Alsace natale, et les efforts d’Amine pour transformer une terre aride en exploitation fruitière.
Regardez-nous danser s’ouvre sur la destruction du jardin de fleurs de Mathilde pour construire sa piscine, enfin accordée par son mari, et sur la réussite de ce couple qui les place juste à côté des français restés après la décolonisation. Douze ans après l’indépendance, ils singent leurs fêtes sans jamais vraiment en faire complétement partie. Mais la génération suivante celle de Regardez-nous danser veut croire que tout est possible. Elle cherche une âme à cette nation qui nait et qui investit un chemin à débroussailler, différent de ceux de leurs parents. Pourtant c’est aussi dans l’exil que chacun construis sa réalité. Aîcha, la fille aînée, s’exile en Alsace pour apprendre la médecine, où elle reste l’africaine pour les bons petits français. Selim, son jeune frère, est l’éternel ombre d’une sœur trop parfaite. Il doit trouver son chemin entre respect des traditions et bouleversement par la nouveauté. Et, il y a Mehdi, garçon pauvre qui se persuade que sa bonne étoile le conduira au bord du pouvoir et dont le rêve est en fait d’écrire.
Cette jeunesse croit en la possibilité de trouver une autre voie entre culture traditionnelle et modernité occidentale. Leïla Slimani décrit la naissance d’une nation où les restes de la colonisation sont encore visibles comme Roland Barthes venu charmer les étudiants de Rabat avec ses connaissances. Seulement, le grand intellectuel ne peut fermer les yeux trop longtemps devant le pouvoir qui réprime dans le sang les manifestations de ses étudiants. La corruption gangrène le pays et à l’image de Selma, figure féminine de débrouillardise à la liberté revendiquée refusant les valeurs traditionnelles de travail et mérite, tout va se gripper ! Il faudra fermer les yeux devant l’arbitraire, devant la force, devant le renouveau, devant les signes d’un pouvoir de plus en plus autocratique.
Alors, Regardez-nous danser…
Alors que le premier roman de cette saga m’avait semblé un peu éloigné de l’émotion de l’écrivaine, Regardez-nous danser rassemble tout ce qui fait un excellent moment de lecture. Sa documentation est fouillée regorgeant de détails construisant un récit proche de la réalité sociologique du pays. Son style toujours aussi maitrisé sait conter et donner corps à ses personnages. Mais, ce qui m’a le plus émue sont la tendresse et l’empathie de cette écriture qui donne corps et âme à ses personnages de papier.
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