Très court récit, à la fois pamphlet contre le luxe et éloge de la fidélité, "Regrets sur ma vieille robe de chambre" permet à Denis Diderot d'effleurer de manière sous-jacente ou allégorique bien des thèmes philosophiques : la richesse et la possession, l'ascension sociale et l'ambition, l'amitié et la fidélité, l'art et l'esthétisme.
Ce que j'ai le plus apprécié, c'est la description que Diderot fait d'une toile de Vernet qu'il possède - l'une des fameuses tempêtes de l'artiste - et à laquelle il tient plus que tout, et dont il refuse l'idée même de s'en détacher alors qu'on l'a obligé à troquer sa pauvre vieille robe de chambre élimée et confortable au profit d'une neuve à la mode, "plus digne de sa personne" (d'après autrui), et qu'on l'a obligé à se meubler plus richement, l'éloignant ainsi de l'idée ascétique - à l'antique - qu'il se fait du Philosophe.
La description que Diderot fait de la peinture de Vernet, dis-je, est pleine de tendresse ; on sent son attachement pour chaque parcelle de la toile, pour chaque personnage, pour chaque nuance de lumière, de teinte ; il imagine l'histoire racontée par le peintre, le naufrage, les rescapés, leurs parcours individuels, leur passé, leur destin, etc. Bref, Diderot m'a donné l'impression de regarder cette oeuvre art comme je regarde moi-même une oeuvre d'art, pour lui trouver un sens ou, à défaut, pour lui en donner un.
Le contraste qu'il créé ainsi entre sa belle nouvelle robe de chambre qu'on lui a imposée, comme un signe extérieur de richesse et d'appartenance à une élite, et son affection pour les naufragés de Vernet qui évoquent la ruine, l'insécurité, l'inconfort, le retour à la case départ avec ce que cela évoque de défi, d'espoir, de primitives illusions et de sens philosophique, est frappant et donne à réfléchir, ce qui, n'en doutons pas, est le but recherché par l'auteur.