Critique de Shaynning
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
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le 23 oct. 2022
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Dans l'optique de commencer l'année 2023 avec une pile-à-lire plus raisonnable - la bonne blague, elle doit bien faire deux fois le tour de la Terre à présent - me voici à abréger mes lectures amorcées de 2022. Pas facile la vie de libraire jeunesse!
Il s'agit ici d'un tome 2 ( Fichtre! C'était pas écrit dessus!), mais on peut se passer du tome 1. En revanche, ce peut être intéressant d'avoir vu la situation des personnages alors qu'ils étaient au primaire, alors âgés de 10 ans. Ici, ils en ont 15, ce qui apporte un angle différent, car nombre d'enjeux de genre émergent à l'âge adolescent, avec la sexualisation du corps.
Ce roman a une drôle de forme, dans la mesure où ce n'est pas tant la trame qui est intéressante que sa succesion de sujets à propos du genre. Car c'est bien le sujet ici. Dans le monde de Léa et Tom, tout ce qui est féminin est fort, dominant et moins cher, le "female gaze" est partout sur la scène culturelle et sociale, les enjeux masculins sont banalisés, le matriarcat crée encore des inégalités entre les femmes et les hommes. Même la langue française est ainsi inversée, donnant au féminin la fonction "neutre". Bref, le sexisme est surtout dommageable aux hommes.
C'est une idée réellement intéressante que de simplement tout inverser, incluant la langue. Il faut dire que le français n'ayant pas de pronom neutre, ça pose un soucis que les langues qui en ont connaissent peut-être moins. En inversant tout, on peut mieux voir là où la construction sociale se distingue de la réelle biologie. Et celle-ci a beaucoup moins de place qu'on lui en prête, d'ailleurs. Dans ce monde-ci, on admet la faiblesse des hommes, leur fragilité émotionnelle, leur tendance à être vulnérables aux maladies, etc. Rien de très fondé, en somme.
Léa étant le "sexe dominant" de cette histoire, elle est surtout agacée qu'on mette autant d'accent sur les enjeux au masculin. Elle banalise, amenuise et même rit de certains d'entre eux, comme si on en faisait tout un plat pour rien. Tout le contraire de Tom, qui a l'impression d'avoir encore plus de pression sur les épaules avec son adolescence arrivée.
Entre autres thèmes sur le sexisme, on a:
-La culture du viol au masculin: Si un homme porte moins de tissu sur lui ou des vêtements serrés, forcément, il cherche les ennuis. D'ailleurs, la police prête peu d'importance aux plaintes liées aux agressions sexuelles, aux attouchement et harcèlement sexuel encore moins. Aussi, il existe un contre-argumentaire qui allègue que certains hommes accusent faussement des femmes de viol, ce qui fait douter de la valeur de leur parole.
-La taxe "bleue": les produits masculins coutent deux à trois plus chers que ceux des femmes, parfois pour une vulgaire histoire de couleurs.
-La responsabilité contraceptive: on fait porté aux hommes le fardeau des moyens de contraceptions: ce qui est normal vu qu'ils sont ceux qui s'occupent des enfants pendant que les femmes vont travailler. En revanche, ils n'ont rien à dire sur la question de l'avortement des femmes: c'est bien connu, les femmes ont tous les droits sur leur corps. L'inverse est moins vrai, ceci-dit. Il est aussi assez rependu que les jeunes hommes doivent voir tôt et fréquemment un andrologue, avec toute la gêne que ça occasionne, alors que très peu de femmes font de suivi en gynécologie, seulement l'obstétricienne quand elles sont enceintes.
-La sexualisation du genre masculin: Un homme qui a une intense vie sexuelle est un Casanova ( un "pute", en somme) et son corps est exposé tôt au regard féminin comme objet de désir et de réussite sociale pour les femmes qui mettent la mains sur ceux-ci. ET il est mal vu pour les hommes de rejeter les avances des femmes. Il est également indécent pour un homme de montrer ses tétons. En outre, les garçons se sentent souvent mal à l'aise avec les filles quand celle-ci sont insistantes et qu'elles les reluquent. Il est aussi fréquent de voir des hommes lubriques et choisis pour leur physique dans les clips de musique populaires.
-Le féminisme: dans ce monde, les féministes sont des extrémistes qui souhaitent aller à l'encontre des revendications des masculinistes en quête d'émaciation, afin de ne pas perdre leur statut de privilégiées, alors que les masculinistes sont en quête d'égalité entre les genres.
Bref, vous voyez l'idée. Est-ce moins révoltant de voir le masculin se faire malmener ainsi? Certainement pas. Ce roman est plus une oeuvre pour amorcer des discutions sur le sujet de l'iniquité de genre et traiter des construits sociaux de genre qui gangrènent encore la société d'aujourd'hui.
C'est une oeuvre pour faire une réflexion, une constations, d'un côté comme de l'autre, car si les hommes ont leur part de responsabilité dans tout ce déséquilibre, reste que des femmes adhèrent aussi à cette iniquité et en font même la promotion. Je pense à toutes ces autrices qui sont chroniquement incapable de faire des personnages féminin autrement qu'amoureusement stupides ou dépendante affective. Je pense à ces femmes qui s'objectifient elles-même pour l'argent. Je pense à ses femmes qui jugent les autres femmes qui se cherchent d'autres avenues possibles que le mariage et la maternité. On a encore du boulot, mais autant du côté féminin que masculin.
Bref, un bel outil pour les professeurs et les jeunes lecteurs qui sont moindrement intéressés par le rapport de genre. L'écriture est somme toute facile, un peu confrontante au début avec ce féminin dominant, mais accessible. Il y a des illustrations très pertinentes et perturbantes ( dans le sens "révoltantes") où les hommes sont placés dans ces mêmes situations que vivent bon nombre de femmes à travers le monde. Enfin, il est intéressant d'avoir deux points de vue dans cette histoire, celui de Tom et celui de Léa ( même si c'est Léa la narratrice - bien sur, dans un monde matriarcal, on voit davantage le point de vu d'héroïnes dans les romans - logique). Elle va progressivement comprendre le point de vu de son frère et comment le monde autours d,elle l'influence. il y a donc un réel cheminement de la part de l'héroïne.
C'est le genre de livre nécessaire, en somme.
Pour un lectorat du troisième cycle primaire, 10-12 ans ( Parce qu'il n'est jamais trop tôt pour commencer à déconstruire les vieux concepts issus du patriarcat) mais qui peut aussi convenir au lectorat adolescent.
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Créée
le 24 janv. 2023
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