Plus on avance dans le livre, plus Simon s'éloigne de nous au travers de silhouettes habilement décrites et rendues vivantes par Maylis de Kerangal. Mais, paradoxalement, plus on s'en approche également, car on entre littéralement au cœur de Simon Limbres, 20 ans, mort cérébrale, donateur malgré lui de ses organes. C'est alors qu'en 24h, ce corps mort et pourtant à l'apparence si vivace va tour à tour susciter accablement, questions, déchirement mais aussi rencontres, affairement et espoir. Jamais une transplantation n'a été rendue si paradoxale: à la frontière si mince de la vie à la mort. Don d'une vie brusquement arrêtée, pour une autre tout aussi brutalement ravivée. Pour les uns, il va falloir apprendre à vivre dans le manque d'un fils, d'un frère, d'un premier amour. Pour les autres, réapparendre à vivre autrement, après de si longues années passées dans l'attente, comme mort-vivant.

Dans cet entrelacs de consciences, de vie et de mort, l'auteur fait surgir des vies, des esquisses de passés, des surgissements de présents. Pour raconter, inlassablement, le trajet d'un cœur, battant d'abord devant la passion, avant de battre par les machines et de s'exporter d'un corps à l'autre. Simon s’éveille à 5h50 du matin, et s’éteint le lendemain à 5h49. La force de cette écriture est d'équilibrer la part de chacun dans le processus qui consiste à "enterrer les morts et réparer les vivants". C'est la maxime qui accompagne tout le livre, même si elle est plus facile à accepter pour certains des personnages. C'est une chaîne que Maylis de Kerandal s'évertue à humaniser. Tout un personnel, tous les proches, toutes les âmes sont convoquées, personnifiées, vivifiées avant de disparaître et de laisser la place à d'autres, successivement. Dans cette transmission post-mortem, chacun a ses préoccupations, à l'image de cette infirmière obnubilée par la vibration de son téléphone portable qui doit lui ramener un être aimé. Infirmière qui parle à son patient pourtant mort, donnant encore plus aux parents l'impression de la vie.

Avec "Réparer les vivants", chaque acte, même anodin, prend de l'importance. Il s'agit là d'étirer 24h cruciales qui font passer de la vie à la mort, de la mort à la vie. Et comme le narrateur de "Comment j''ai mangé mon estomac" rêvait de pluie avant de "se purifier" par elle, pour laver la maladie, réparer l'affront. Ici, on recoud le corps après ablation des organes, avec minutie et acharnement, pour donner aussi au mort toute la réparation éphémère dont il a besoin pour se montrer encore intacts aux yeux de ceux venus pour lui dire adieu. Que le don obtienne un contre don: la peau reste le seul habit d'un corps mort qui s'entête à paraître vivant, parce que fauché dans la fleur de l'âge. C'est un fil invisible et vital que tend Maylis de Kerangal à ceux qui font et défont la vie, qui réparent les corps en état de dysfonctionnement.

Un récit prenant, poignant, sans baisses de régime. Avec un rythme pourtant paradoxal:, là encore: le temps qui s'accélère quand le processus de transplantation est lancé et le temps passé à raconter les protagonistes. Mais aussi, pour les médecins, celui passé à expliquer, consoler, rassurer malgré la rapidité des entretiens. Il faut être à la fois clinique et social. C'est un temps où l'on se souvient d'avant et où, pourtant, il faut aller de l'avant. Un récit qui nous maintient en haleine, malgré l'issu attendue: la fin d'un jour, le début d'un autre et "le tourbillon de la vie", sans fin.

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le 17 févr. 2014

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eloch

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