1952. Louis Calaferte entre en littérature par la grande porte. Requiem des innocents est un roman terrible sur l’enfance et la misère. Calaferte y raconte ses jeunes années dans « la zone » de Lyon, un ghetto où vivent les indigents des années 30 et 40. Un pauvre gosse parmi tant d’autres : « J’étais aussi crasseux que les autres. Aussi vicieux et mal habillé que les autres. Comme eux, j’appartenais à une famille sordide du quartier le plus écorché de la ville de Lyon : la zone. Sous toutes les latitudes, on trouve ces repaires de repris de justice, de bohémiens, et d’assassins en puissance. Je n’étais qu’un petit salopard des fortifs, graine de bandit, de maquereau, graine de conspirateur et féru de coups durs. Pas plus que les autres, je ne redoutais le mal ni le sang. » Si le petit Louis ne se distingue pas de cette masse grouillante, il sera pourtant le seul parmi ses camarades à obtenir le certificat d’étude. Quand les résultats furent annoncés, « une large, une profonde et vaste stupéfaction pétrifia les copains. On me regarda avec des yeux moqueurs, des yeux méprisants, des yeux haineux. J’étais le premier bâtard de mon quartier qui allait quitter l’école avec autre choses que des poux et le vice de la masturbation collective. »

Calaferte raconte la crasse, la promiscuité, la violence, l’alcool, la sexualité débridée, l’ignorance et la cruauté des enfants de la zone : « Nés au cœur de cette fournaise, nous étions, dès les premiers mois, dépositaires de ses excès et de sa constante fureur. Au surplus nous restions ignorants du monde extérieur et de ses mœurs. [...] Nous n’étions que des bêtes malfaisantes, museaux au vent, flairant une proie ». Pour l’auteur, Requiem des innocents n’est pas un roman : « Je n’ignore pas que ces pages n’ont de valeur qu’en vertu de l’émotion qui, si toutefois j’y réussis, doit sourdre de cette succession de scènes, de faits, tous réels, que j’ai dépeints. » Et il faut bien reconnaître que l’émotion est souvent présente et vous fouille les tripes. Ainsi, cette tirade incroyable contre la mère honnie : « Toi, ma mère, garce, je ne sais où tu es passée. Je n’ai pu retrouver ta trace. J’aurais bien aimé pourtant. Tu es peut-être morte sous le couteau de Ben Rhamed, le bicot des barrières dont les extravagances sexuelles t’affolaient. Si tu vis quelque part, sache que tu peux m’offrir une joie. La première. Celle de ta mort. Te voir mourir me paierait un peu de ma douloureuse enfance. Si tu savais ce que c’est qu’une mère. Rien de commun avec toi, femelle éprise, qui livra ses entrailles au plaisir en m’enfanta par erreur. Une femme n’est pas mère à cause d’un fœtus qu’elle nourrit et qu’elle met au monde. Les rats aussi savent se reproduire. Je traîne ma haine de toi dans les dédales de ma curieuse existence. Il ne fallait pas me laisser venir. Garce. Il fallait recourir à l’hygiène. Il fallait me tuer. Il fallait ne pas me laisser subir cette petite mort de mon enfance, garce. Si tu n’es pas morte, je te retrouverais un jour et tu paieras cher, ma mère. Cher. Garce. »

Calaferte, dans mon panthéon personnel, fait partie des auteurs français les plus importants. Je pense avoir lu à peu près tout ce qu’il a publié, hormis son journal. Parmi ses nombreux ouvrages, Septentrion restera à jamais comme l’un des chefs-d’œuvre de ma bibliothèque. De ces livres tellement grands qu’il m’est impossible d’en parler.

De Calaferte, je retiens en premier lieu la qualité de l’écriture. Une prose qui mêle le flux lyrique et l’aphorisme, créant un ensemble à la fois classique et baroque où les séquences narratives se multiplient en un mélange de réalisme et de fantasmagorie. Un grand auteur et un grand premier roman, tout simplement.
jerome60
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le 30 déc. 2012

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jerome60

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