Nekhlioudov, jeune aristocrate, est touché par les théories socialistes en vogue à son époque (fin XIXeme). Ces dernières vont avoir une influence morale importante sur lui. Souhaitant les mettre en pratique, il va même restituer une de ses propriétés aux paysans qui y travaillent. Or celà va se solder par un échec cuisant, qui lui vaudra les railleries de ses camarades bourgeois. Nekhlioudov va alors se "nitzschéiser" et abandonner ses valeurs morales socialistes qu'il considère désormais comme un frein à l'expression de son être et qui l'empêchent de jouir de son statut social.
Le procès de Maslova va tout changer. Se rendant compte qu'il a détruit sa vie, il se donne alors pour mission de sauver Maslova qu'il sait innocente. Ses idées socialistes lui reviennent alors, plus fortes que jamais. Sous le double angle de la prisonnière et de Nekhlioudov, Tolstoi nous plonge dans l'univers carcéral et judiciaire de la Russie du XIXeme. Il en livre une critique très acerbe: le système carcéral répressif est l'instrument d'une justice de classe et qui n'a aucun autre intérêt que de servir les intérêts de la bourgeoisie.
Toute la subtilité du roman repose sur la dialectique de Nekhlioudov. En effet, Tolstoi commence par nous livrer un formidable exemple du rapport de la logique du sujet à la praxis et du rapport de l'inter-subjectivité (relation amoureuse avec Maslova) au politique. On pense à Rousseau: unité de la Nouvelle Héloise et Du Contrat Social. Mais Nekhlioudov n'est pas un prolétaire, il fait au contraitre partie de la grande bourgeoisie et possède de nombreuses propriétés ou des paysans sont quotidiennement exploités. Il y a donc une contradiction importante entre ses intérêts individuels, ceux de sa classe sociale et ceux de la communauté. Tolstoi développe ici le rapport dialectique du sujet et du collectif. Les ambivalences du sujet dans son rapport dialectique à l'autre (sa famille bourgeoise, entre autres) révèlent également des dilemmes moraux auxquels Nekhlioudov doit se confronter, montrant ainsi son caractère profondément humain. Par ailleurs, les échecs relatifs des tentatives de socialisation des terres souligne les difficultés liées à la conscience de classe et à la mobilisation des masses, nécessaire à la révolution.
Bien plus qu'une simple critique de la société bourgeoise et de ses institutions, Tolstoi met ainsi en lumière les aspects profondément dialectiques des rapports du sujet au collectif et au politique, offrant par là une profonde réflexion sur la société et sur le socialisme.
Néanmoins, on se retrouve dans une sorte d'impasse lorsqu'il s'agit de penser réellement la transformation, les questions restent sans réponses et on observe sur la fin un retour du thème religieux.
Résurrection est en somme un superbe roman traitant de la condition humaine et du socialisme avec brio. Les nombreux thèmes de philosophie politique et morale abordés, replacés dans leur rapport au subjectif, amoureux de surcroît, font de cet ouvrage un véritable chef d'oeuvre.