Extinction
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le 3 juin 2018
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Si j'ai mis autant de temps à me décider à écrire au sujet de ce livre, c'est que je suis perplexe. La lecture a été très agréable, la plus agréable que j'ai eu depuis un certain temps mais je ne sais par quel bout prendre l'ouvrage. Je l'ai lu sans trop me poser de questions, peut-être était-ce parce que n'ayant acheté, il y a quelques années, que la version traduite en français, je décidai de ne prêter que peu d'attention aux détails stylistiques. Peut-être me bornerai-je ici à discourir de l'histoire. Non, le style, bien que traduit a une personnalité certaine que je ne saurais malheureusement pas décrire. Il y a quelque chose de badin dans ces lignes qui rend la lecture bien plus aisée. Est-ce l'affectation anglaise, je ne sais pas, j'ai principalement lu des auteurs américains en plus des français. Les phrases à rallonge, bien qu'un peu ardues quelques fois, se suivent d'une manière si fluide que l'on peine à laisser tomber le livre pour vaquer à d'autres activités moins passionnantes. Le personnage d'Anthony Blanche est à ce titre assez représentatif de l’œuvre et d'une certaine version des mœurs de l'époque, celle où Charles hésite à se plonger, ne fait que rester au bord du précipice dans un entre-deux de bon ton mais différent du monde de la génération précédente. Chacun exprime sa version aussi bien des mœurs que des faits comme en attestent les portraits que fait Blanche de la famille Flyte dans son monologue sur le charme, il est plaisamment méchant, avec une espèce de raillerie mondaine qu'excusent ses excentricités, le tout n'aboutit donc à rien de substantiel et est éclairé plus tard par la rencontre de Charles avec la famille mais aussi par les propos de Sebastian. Le flegme mais aussi le caractère prolixe des personnages n'en cache pas moins un certain nombre de mystères, certains qui n'ont pas dû en être à l'époque de la parution du livre, d'autres qui tissent le tempérament complexe des personnages. On pourrait revenir sur le fameux charme de Sebastian et sa conversation sur les bulles de savon dont on ne tire pas grand chose de plus qu'une conversation plaisante et davantage de questions sur son intériorité qui oscille entre celle d'un homme de son temps et une originalité qui prend ses racines dans une enfance pas encore achevée. Des humeurs, des soucis, demeurent propres à une époque celle de l'entre-deux guerres, du soulagement national de la fin des conflits et de la montée en puissance d'un nouveau mode de vie qui ne parvient néanmoins pas entièrement à se détacher de l'ancien, mais les ellipses n'aident pas à se faire une idée de générale de l'ambiance et des changements qui ont lieu pendant ces béances du récit. Mais je dirais que l'histoire fonctionne par transferts et regrets. De l'enfance pour Sebastian, de la jeunesse pour Lord Marchmain, de temps plus doux pour Charles. De temps où la religion pouvait être mise à part, même si elle apparaissait en filigrane à travers les descriptions de sortie de messe, elle ne prend son essor qu'avec l'explication de Sebastian du poids de la religion dans sa famille, poids qui ne cesse de s'accroître tout en connaissant quelques retraits avec notamment le mariage de Julia. Mais l'on y revient inexorablement à la mort de Lord Marchmain, comme si l'atmosphère mortifère rappelait à chacun sa position quant à la vie après la mort, mais faisait aussi ressurgir les relents d'éducation religieuse de ceux qui s'étaient écartés de la foi. Waugh ne présente pas non plus ce phénomène comme systématique puisque Charles, ayant lui aussi reçu une éducation religieuse, n'y revient pas pour autant et l'on peut considérer que c'est cette distance qui, au fond, l'a toujours séparé de la famille Flyte, que son amitié avec Sebastian n'a pu durer que le temps du demi-catholicisme de celui-ci. Et quand Sebastian s'est vu grandir, il s'est tourné vers la religion en même temps que la bouteille, tiraillé entre les choix de vie de ses deux parents. Après Aloysius et nounou Hawkins il s'est vu confronté aux mœurs dissolues de son père, et la séparation d'avec son ours « pour qu'il ne prenne pas les mauvaises habitudes des ours italiens » marque le début de son cheminement. Cheminement dont il ne trouve la sortie que par l'ébriété qui, d'abord récréative devient son échappatoire. En somme, il déplace ses excentricités et son charme vers un mysticisme bridé par son addiction. Mais Waugh ne lui colle pas cette lubie d'un seul coup, la rencontre entre Charles et Sebastian se fait sous des augures alcoolisées et l'on ne compte plus le nombre de fois où ils boivent ensemble, ce n'est cependant qu'avec l'avertissement de Cara que le problème prend de l'ampleur.
Peut-on qualifier l'ouvrage de pessimiste ou simplement de reflet d'une époque disparue telle que la déplore Charles dans le récit cadre mais aussi dans une allusion où il fait part de son désir de se souvenir de Sebastian à son apogée. La ruine de Brideshead, ou du moins sa transformation en base militaire n'est pas sans rappeler le déclin de la société mondaine des années folles. On assiste à une période de transition où, d'un côté le jeune Charles Ryder s'émeut de sa proximité avec Julia dans la voiture et où l'on déplore la présence de femmes dans les colleges, et de l'autre Julia, alors débutante, exhibe, malgré l'accueil chaleureux que lui fait la bonne société, des cheveux courts et une cigarette à la bouche.
La guerre change donc ici bien des choses puisqu'elle chasse les Marchmain de leur maison qui a pourtant été le théâtre de tant d'événements marquants, mais elle n'est pas la seule, les temps n'ont pas attendu la guerre pour changer les protagonistes qui perdent leur enthousiasme juvénile et se perdent dans des mariages hâtifs ou trop raisonnables qui finissent en échecs. Ces échecs sont néanmoins tout relatifs, on se sépare sans trop de mauvais sentiments en élaborant déjà de nouveaux projets. On peut, à ce titre, dire que la guerre qui a le plus changé les mœurs des Marchmain est la première puisqu'elle a crée un clivage entre les membres de la famille, désamour qui mène à l'athéisme qui lui-même creuse le fossé entre le père, sa femme et Cordelia. On pourrait s'étonner de l'acte de piété ultime de Lord Marchmain, faut-il y voir un geste désespéré, une peur de la mort qu'il tentait de cacher à sa famille mais ne trompait personne, ou un regret de sa conduite et, dans une démarche analogue à celle de Julia, un retour à la religion pour l'unité de la famille.
Créée
le 10 févr. 2020
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