Un homme apprend, des années après, que l’homme qui lui aurait sauvé la vie quand il avait huit ans est un découpeur d’enfants… (Je n’ose pas imaginer ce qu’un tâcheron du cinéma hollywoodien ferait de cet argument.)
« Je suis veilleur de nuit au foyer La Clairière, une maison d’enfants à caractère social. Je fais ça depuis quatre ans. C’est un travail qui me convient. » (chapitre 2) : si son style est aussi sec qu’un enfant battu oublié dans une cave du vieux Limoges, Retour à la nuit est un peu plus qu’un page turner à la française. On y trouve, bien sûr, les codes du genre, ou des genres, si on préfère, entre thriller et roman noir. Si le narrateur est un homme solitaire, par exemple, sa solitude fera immanquablement naître des questions : il fait partie de ces narrateurs dont le manque de fiabilité donne au récit une saveur essentielle. Mieux : un narrateur comme celui-ci justifie à lui seul le choix d’une narration à la première personne ; raconté de l’extérieur, le roman serait au mieux quelconque, au pire pénible.
Généralement, quand on raconte une mésaventure – et en l’occurrence le mot est faible – survenue pendant l’enfance, on évoque les réactions de ses parents, ou les conséquences immédiates de l’histoire. Rien de tel ici, et ce n’est qu’une des nombreuses zones d’ombre du roman. C’est qu’il n’est pas net, cet Antoine mal cicatrisé. En admettant qu’il n’ait rien commis de répréhensible, il ferait mauvaise impression, malgré tout, face à n’importe quel jury d’assises. « Il y a eu cinq femmes dans ma vie, dont trois étaient plus âgées que moi. La plus longue de ces expériences dura sept mois. Je n’ai pas grand-chose à dire sur ce point. À vrai dire, je n’y pense jamais. Parfois, l’envie m’effleure de vivre avec quelqu’un. Je n’y renonce pas. » (chapitre 5, p. 45 de l’édition « 10-18 »), c’est typiquement la déclaration qui ne doit pas nuire juridiquement à un accusé mais qui le charge au point de vue de la moralité. (Et on pense au Meursault de l’Étranger, sans doute le plus grand solitaire de la littérature…)
Il y a un vrai travail d’écriture dans Retour à la nuit, dont le style faussement factuel et objectif laisse des failles béantes entre les lignes, dans une optique finalement assez proche de celui d’Emmanuel Carrère dans l’Adversaire – que, par un hasard significatif, je relisais quand j’ai lu Retour à la nuit. Avec une portée différente, et dans un contexte autre que celui du roman noir, on peut aussi penser aux narrateurs de Michel Houellebecq. Sans la provocation. Car si les narrateurs de Houellebecq ne s’épargnent rien pour faire réagir les lecteurs, celui de Retour à la nuit les laisse psychoter tout seuls.

Alcofribas
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le 7 déc. 2016

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