Sex, Rhum, & Porto Ric'n'Roll
Évidemment, quand on petit-déjeune au rhum, qu'on déjeune à la bière et au rhum, qu'on ne commence pas une journée de boulot sans être plombé, et qu'on attend qu'une chose, le début de soirée, pour s'en mettre une vraie, ce qui reste de la vie autour de la beuverie se réduit vite à peu de chagrin.
San Juan, Porto Rico, 1958. Suivant une de ses premières pulsions de journalisme, une envie urgente d'ailleurs, Hunter S. Thompson fuit New York pour échouer sur un bout d'île écrasé de soleil, à la poursuite d'une fille blonde désirable aperçue dans l'avion à travers ses vapeurs d'alcool, se lançant dans une carrière de scribouillard gagne-petit dans une feuille de chou sans avenir.
Collègues cinglés ou pathétiques, apparts ressemblant à des caves crasseuses, toute velléité de changer d'horizons écrasée par des litres de rhum à 30 cents la bouteille, bringues déjantées finissant à chaque fois un peu plus mal, le tableau peut paraitre écrasant.
Cependant, balançant entre mélancolie, défaitisme et auto-apitoiement, cette chronique désabusée reste attachante, et ruisselle soudain de perles de lumières, de phrases qui vous cueillent au débotté. Des choses qui peuvent ressembler à ceci:
"C'était peut-être qu'au cours de l'embuscade que le temps m'avait tendue, cette idée d'être un champion, fidèle monture sur laquelle je cavalais, avait reçu une balle perdue."
Ou, entre deux considérations alcoolisées: "Nous survivons grâce à de fragiles illusions, si fragiles qu'elles ne peuvent surmonter de telle épreuves".
Un regard acide que l'auteur porte sur lui-même, ne cherchant à aucun moment à se donner un quelconque beau rôle (rien, dans ses successives décisions de se compromettre, ne nous est épargné), ne cachant rien de ses multiples faiblesses (son incapacité à changer de façon d'être) qui peut se résumer par cette dernière citation, qui nous donne une bonne idée de l'ambiance générale:
"Puis midi arrivait et le matin se fanait comme un rêve déçu. La sueur devenait une torture et le reste de la journée était jonché de cadavres de toutes les belles occasions qui auraient pu se présenter mais qu'il n'avait pas réussi à survivre à la fournaise. En continuant à monter, le soleil carbonisait les dernières illusions et me donnait à voir tout ce qui m'entourait sous son vrai jour, étriqué, maussade, vulgaire, et je me disais que non, rien de bon ne pourrait m'arriver ici."
Le reste, Gonzo et parano, appartient à l'histoire.