Totalement allumé, ce roman de Sébastien Gendron trimbale le lecteur de Gironde à Montélimar à travers une folle cavale à l'accent bordelais.
Au-delà du jeu de mot charcutier, « Road tripes » de Sébastien Gendron ne ment pas sur la marchandise. Construit en deux parties, la première comprend beaucoup de route. La seconde autant de tripes. Humaines... Le point commun c'est l'amitié improbable entre les deux protagonistes principaux.
Le narrateur, Vincent, un quadra un peu paumé, raconte comment il s'est mis dans cette situation inextricable. Fils de dentiste bordelais, il a appris le piano dès ses 6 ans. A l'adolescence il délaisse le classique pour le jazz. En même temps qu'il suit des études de chirurgien dentiste (payées par papa), il forme un groupe et décroche quelques dates. Une fois son diplôme en poche et papa quasiment à la retraite, il plaque Bordeaux et tente sa chance à Paris fort d'un commentaire élogieux d'Herbie Hancock. Il rencontre alors Marie, une bordelaise pur jus. Retour à la case départ, toujours musicien, mais en province, lesté d'une femme enceinte. Il déprime grave et se retrouve flanqué à la porte de chez lui quand la gentille bourgeoise découvre que le fils de dentiste est couvert de dettes.
Ravalant sa fierté, Vincent accepte de distribuer des prospectus publicitaires pour un salaire de misère dans des banlieues puant la misère. C'est en confectionnant ses « poignées » de pubs dans un hangar qu'il rencontre Carell. Et que sa vie bascule.
Pur bordeluche
Carell, affublé d'un « accent bordelais des années 60 », souriait à Vincent « avec son visage d'ange raté et son physique impossible, trop petit pour la hauteur des tables de tri et trop gros pour se caler correctement. » La quarantaine lui aussi, il n'a peur de rien. Surtout pas de jurer en bordeluche, l'argot girondin si particulier. Rien que pour ces passages il ne faut pas rater ce roman. « Tu me dailles » « Oh enfi... » « Enquigueille ! », autant d'expressions désuètes mais si chantantes à l'oreille. C'est peut-être ça qui a séduit Vincent. Ou l'envie de confier sa vie mal barrée à quelqu'un qui ose. Tout et n'importe quoi. Le début de la cavale est causé par un incendie. En plein été, Carell a la mauvaise idée de brûler les prospectus plutôt que de se fatiguer à les distribuer. Un peu d'essence, un briquet... une forêt de moins !
Carell, paniqué, trace la route, Vincent dans le rôle du passager. Ils foncent sur les départementales. Jusqu'à Marcillac-Vallon pour une étape nocturne mouvementée. La suite est un enchaînement d'erreurs. Carell dans ses œuvres. Il tabasse une vieille prostituée pour lui dérober son sac banane, vole une voiture... de la gendarmerie, séduit une grosse motarde adepte d'une secte, se retrouve avec toute une armée de cinglés à sa poursuite. Et Vincent voit son existence se compliquer d'heure en heure, kilomètre après kilomètre. Une fuite qui trouvera son apogée à Montélimar par un braquage d'anthologie. La suite, ce sont les tripes. Preuve que les ennuis sont toujours exponentiels.
Certes Sébastien Gendron a forcé le trait. Ce Carell est un sacré olibrius et Vincent est bien faible. Mais tout aussi invraisemblable que cela puisse paraître, l'amitié entre ces deux paumés, handicapés de la société, est si forte qu'elle balaye tout sur son passage.