J'ai toujours pensé que la meilleure manière de vivre tranquille était...
...d'être aussi transparent qu'une vitre.
Je partais avec un grand a priori. Le théâtre contemporain (à part peut être Beckett) n'est pas vraiment ma tasse de thé. Les dramaturges sont dans une telle optique de dépouillement qu'ils finissent par ne plus rien dire du tout. Et puis, lire à longueur de temps que la vie est absurde, qu'on va tous crever comme des chiens et qu'on ne connaîtra que le malheur...Mmh, ça va cinq minutes. Si on ne lisait que du Beckett, on finirait tous par se jeter sur une rame du métro.
Roberto Zucco ne fait pas partie de ces pièces atrocement déprimantes et absurdes. Franchement, Bernard-Marie Koltès n'a rien à envier à Racine ou Shakespeare. Ce n'est ni moins bien, ni mieux. Mais tout aussi indispensable.
C'est l'histoire d'un voyou. Qui commet des atrocités, sur la scène, devant les spectateurs (meurtre de ses parents, d'un enfant). Le pire, c'est qu'on a de la sympathie pour lui. Toute la pièce baigne dans un certain suspense - sera-t-il pris ? Va-t-il finir derrière les barreaux ? Quelle sera sa fin ?-, presque cinématographique, à la manière d'un bon polar.
Mais Roberto Zucco, c'est bien autre chose qu'une simple histoire de gangster. La vulgarité, les mots les plus triviaux, les comportements humains les plus bas côtoient sans cesse la poésie, le lyrisme, quelques instants de grâce. J'ai été émue jusqu'à la moelle par certains passages. Pourtant, on ne peut parler d'une écriture riche, recherchée et tout ce qui s'en suit. Comme vous vous en doutez, Koltès n'est pas un adepte de l'alexandrin. Les phrases sont extrêmement simples, le dramaturge n'a pas du tout de scrupule à parler de sexe en termes pas très fleuris, de faire insulter la pauvre gamine de tous les noms, de montrer des putes sur la scène et j'en passe. Bref, ce qui au départ peut sembler bas, est totalement transcendé par l'auteur. Les personnages sont tellement profonds et plein de paradoxes - comme nous - que cela devient tout simplement sublime. Je pense notamment à la fameuse gamine qui derrière ses airs de petite qui connaît tout de la vie - adulte avant l'heure -, reste une grande amoureuse du voyou. Au fond, la citation de Baudelaire s'applique bien à la pièce : "tu m'as donné de la boue et j'en ai fait de l'or". Les personnages paraissent tous plus violents, pathétiques, bêtes, odieux, cupides les uns que les autres. Pourtant, on ne peut s'empêcher de les aimer. Terrible, hein.
Zucco, c'est quand même une petite tragédie, avec son lot de morts, de superbes monologues et une litanie du malheur. Mais, au lieu de vous laisser sur une impression de dégoût, sur une amère tristesse, Koltès termine sa pièce dans un espoir (solaire, c'est le moins que l'on puisse dire). Rien que pour ça, MERCI.
Vous allez dévorer Roberto Zucco. Avoir les larmes aux yeux. En une petite heure, vous fermerez le livre. Aussi fulgurant que la vie.