Mon grand tort avec "Rouge Brésil" a sans doute été de me lancer dans ma lecture avec de trop grandes espérances.
Férue de romans d'aventures et, tout particulièrement, d'aventures en mer, et plus spécifiquement encore d'aventures historiques, je pensais me régaler avec ce Goncourt 2001, premier roman de Rufin qu'il m'était donné de découvrir. Un peu comme Chartier ou Colomb, je sentais que j'étais au seuil d'une belle épopée, palpitante de passion et de chaleur tropicale, dans laquelle mes émotions seraient mises à mal... Mais on a toujours tort de vouloir anticiper la trame et la couleur d'un roman. Je me rends compte (une fois de plus) qu'il faut laisser toute liberté au roman de nous montrer "ce qu'il a dans le ventre". Si on veut construire un roman "sur mesure", autant faire une sieste pleine de rêves que notre imagination ne manquera pas de nous inspirer mais ne prétendons pas dicter à un écrivain ce que nous voulons qu'il écrive.
C'est sans doute pourquoi, m'étant mise dans la peau de cette petite fille capricieuse qui demande à sa maman de lui raconter une histoire mais qui chouine dès que celle-ci n'est pas conforme à ce qu'elle attend, je n'ai pas pleinement apprécié ma lecture. Le roman en lui-même est très bien construit. Tout commence en France, on cherche à embarquer des "volontaires" pour peupler une colonie au Brésil ; vient la traversée ; l'accostage ne se fait pas sans heurts puis la vie en exil s'organise. L'homme, fidèle à sa nature, applique le schéma de qui construit sa civilisation en en foulant aux pieds une autre, cherche à imposer son autorité puis à y échapper, attend des cieux et de ses chefs des commandements à suivre pour mieux se les approprier ou les rejeter...
Au milieu de ce souffle colonisateur guerrier, deux enfants, les héros, Just et Colombe, parcourent leur propre destinée. Frère et sœur, ils sont l'un pour l'autre un allié naturel dans ce parcours doublement initiatique, celui de l'adolescence et celui de l'exil, duquel il faudra bien s'émanciper à un moment donné, quand les expériences et les aspirations personnelles prendront le pas sur l'épopée commune.
Côté plume, on sent la patte d'un académicien. Si le fond est très bien documenté, la forme est alourdie par un style souvent pesant où le foisonnement des adjectifs lasse les yeux. L'utilisation de quelques mots anciens, savants, oubliés donne un sentiment d'irrégularité, on a envie que l'écrivain prenne son parti une fois pour toutes : soit il écrit comme Robert Merle dans Fortune de France en recréant complètement un langage proche de celui de la Renaissance, soit il abandonne toute prétention dans ce sens et écrit modestement avec notre langue moderne. Je n'ai donc pas particulièrement apprécié les poignées de poudre aux yeux que Rufin semble jeter à la face de son lecteur pour le convaincre qu'il est vraiment érudit.
Je ne peux pas dire que le roman n'est pas agréable, ce serait mensonge. Mais voilà une rencontre qui m'a semblé manquer de souffle, de vie, de couleurs et ne m'a pas enfiévrée "jusqu'au transport", comme le Chevalier des Grieux le fut en rencontrant Manon Lescaut.
***ALERT SPOILER***
Quoi ! Il s'agit quand même de débarquer au Brésil !
Là où je pensais être écrasée par les couleurs, la jungle, les odeurs, la chaleur et les corps des indigènes, je n'ai eu que la vague impression de contempler une peinture à l'huile, évocatrice mais pas assez prégnante, laissant entre le paysage qu'elle décrit et son admirateur la distance infranchissable de sa toile.
Les guerres de Religion couvant en Europe, ce climat délétère se propage jusque dans les lointaines colonies. Toutes les considérations spirituelles développées par Ruffin à l'arrivée des protestants à Fort-Coligny sont très intéressantes mais semblent davantage freiner l'action que la nourir. D'où, petit à petit, ce spectre de l'ennui qui ne semble pas rôder aux seuls environs de la forteresse. A quarante pages de la fin, alors qu'on attend une montée en puissance, l'auteur avoue lui-même que tout le monde s'ennuie ferme !
Un mot sur les héros, Just et Colombe.
Un frère et une soeur mais personne pour affirmer qu'en réalité ils sont bien issus des mêmes géniteurs. De doux sentiments de protection et d'amour les unissent... Inutile donc de jouer la surprise quand on découvre le dénouement proposé par l'auteur... Mon seul étonnement fut de constater que Rufin n'était pas allé jusqu'à conclure son roman en expliquant le nom de la future Colombie par le patronyme de son héroïne ; là, il m'a bien eue, je croyais le voir venir avec de gros sabots.
Just peut bien être beau et avoir, pour son âge, un corps bien découplé, il peut bien nous inspirer la pensée qu'il incarnerait à la perfection ce héros viril prêt à conquérir toute l'Amérique latine à lui tout seul... hélas, il n'en est rien. Manquant cruellement de volonté, se laissant ballotter et influencer par son chef et par les femmes, il faut attendre patiemment la page 489 (sur 594) pour qu'il se découvre enfin une volonté propre, à la grande stupéfaction du lecteur qui y avait depuis longtemps renoncé !
"- Jamais, redit-il avec la fermeté d'un être qui découvre en lui-même une irrémédiable volonté."
On a envie de dire "ouf !" en lisant cette page, la seule de l'édition Folio qui ne soit pas paginée, serait-ce un message subliminal ?
En résumé, je suis contente de cette découverte (celle de la tentative de colonisation du Brésil par le chevalier de Villegagnon), je suis heureuse d'avoir achevé cette lecture et de passer à une autre et j'espère pouvoir bientôt me procurer "l'Abyssin" pour redonner à Rufin une chance de vraiment me... conquérir !