Rouge gueule de bois par MarianneL
1965 - Fredric Brown, écrivain déjà reconnu, connaît une panne durable d’inspiration et enchaîne cuite sur cuite, pendant que sa femme s’échine à sa biographie sur la machine à écrire, espérant ainsi lui redonner le goût d’écrire.
«Il s’éveilla d’un rêve d’échecs, de mitraillade et de désolation. Un temps, il s’espéra ailleurs, loin du blanc exaspérant de sa chambre à coucher. Puis il entendit, depuis le bureau, le crépitement de l’IBM, et sut qu’il était malade.»
De sa rencontre improbable avec Roger Vadim, cinéaste frenchie, également expert en conception de cocktails, et de leur amitié quasi-instantanée, germe dans le cerveau de Fredric Brown l’idée d’un roman et d’un crime parfait.
«Deux bouteilles de bière vinrent compléter le tableau et Brown constata, satisfait, que son vis-à-vis ne rechignait pas à s’y aboucher. En quelques secondes, la mécanique lubrifiée de son cerveau pronostiqua un futur crédible, dans lequel il ne dînerait pas avec son épouse, pas plus qu’il n’irait chercher sa voiture au Dotted Lion. Seul le lieu où ils échoueraient restait encore mystérieux, occulté par les voiles toujours flottants des possibilités.»
Le crime parfait déraille et se transforme en épopée foutraque depuis l’Arizona jusqu’au Nord du Mexique, sur les traces de Jane Fonda / Barbarella, épouse de Vadim, parcourant les routes d’une Amérique qui conquiert la lune, avec l’alunissage d’Aldrin en cette année 1965, et en même temps se détruit.
De bouteille en bouteille, les événements s’enchaînent, également imbibés de pop et de drogues hallucinogènes, science-fiction déjantée entre noir et gonzo, comme une succession de nouvelles de pulp magazines ; sortie de route sensuelle avec Barbarella, apocalypse déclenchée par des bikers cannibales, rencontre crépusculaire avec des enfants morts-vivants, traques par un FBI extra-terrestre, road-trip beatnik avec une chèvre naine en combi VW…
Nul besoin d’avoir lu l’intégrale de Fredric Brown pour que cette lecture soit jubilatoire, grâce à la virtuosité de la plume de Leo Henry, qui balaie tous les genres et sait raconter toutes les rencontres, de la plus déjantée à la plus authentique. Comme pour les bons breuvages, on en reprendrait volontiers.
«Si jamais on en réchappe, faisons un film sur tout ceci, continuait-il. Juste pour le plaisir d’en boire les colossaux bénéfices non loin d’un volcan en éruption, le cul dans l’eau tiède d’un atoll.»
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