"Rouge impératrice" de Léonora Miano : couvrez ce racisme que je ne saurais voir

Présent dans la liste des livres sélectionnés pour le Goncourt 2019, Rouge impératrice est le nouveau roman de Léonora Miano publié aux éditions Grasset. Un roman lourd et imposant avec ses quelques 600 pages. Un roman à l’ambition claire : imaginer le monde de demain, pas nécessairement comme on l’imagine… Lettres it be vous livre sa critique !


La bande-annonce


Dans un peu plus d'un siècle, nous voici à Katiopa : un continent africain presque entièrement unifié, devenu prospère, où les Sinistrés de la vieille Europe sont venus trouver refuge.
Les Fulasi, descendants d'immigrés français qui avaient quitté leur pays au cours du XXIe siècle parce qu'ils s'estimaient envahis par les migrants, sont désormais appauvris et recroquevillés sur leur identité.
Le chef de l'État veut expulser ces populations inassimilables, mais la femme dont il tombe amoureux est partisane de leur tendre la main.
La rouge impératrice, ayant ravi le cœur du héros de la libération du Continent, ne risque-t-elle pas de désarmer sa volonté ?
Pour les « durs » du régime, il faut à tout prix séparer ce couple contre-nature, car cette passion menace de devenir une affaire d'État.
Jouant avec les codes de l'utopie et les techniques narratives de la série, cette vaste fresque poétique et politique, d'une ampleur et d'une ambition rares, opère un renversement ironique : l'obsession nationaliste et le malaise des minorités y sont mis en scène dans un environnement panafricain.


L’avis de Lettres it be


Il y a des personnages, une femme et un homme mal faits pour se rencontrer. Il y a un continent africain, panafricain même, redevenu l’Eden du monde. Il y a des migrants, à la peau claire cette fois. Puis il y a un monde qui se fait raconter dans ce nouveau livre de Léonora Miano. Au-delà du développement de cette histoire ambitieuse qui n’hésite pas à multiplier les excursions de fond et de forme, au-delà de ces mots issus de langues africaines diverses qui poussent à un glossaire pour garder la clarté tant l’immersion est totale, Rouge impératrice marque l’esprit ailleurs. En bien ?


L’ancienne minorité est-elle nécessairement louable quand, devenue majorité, elle cherche à développer son rapport avec sa suivante ? Cette question est au cœur de ce roman. Entre science-fiction et anticipation raciale, Léonora Miano développe des réflexions assurément saisissantes. Sur ce continent africain devenu hôte du monde, tout semble être inversé. Les « blancs » devenus Fulasi et sinistrés, ces descendants d’immigrés français, ont joint l’Afrique pour fuir les migrants arrivaient en sol européen. Mais d’où venaient ces migrants ? On n’en saura rien. Mais, de ce point de départ aussi interrogatif que saisissant, Léonora Miano va construire un livre fragile, mais droit dans ses bottes.


« La démographie du Continent le protégeait d’une éventuelle submersion par les Sinistrés ou par quiconque. La puissance de ses cultures permettait aussi que l’on se rassure quant à la capacité d’autres à dominer. Cependant, il pouvait se révéler néfaste pour la société d’abriter en son sein un groupe humain amer et revanchard. Les parents sinistrés ne pouvaient instiller, dans le cœur de leur progéniture, que des sentiments contradictoires : être de quelque part tout en ne le supportant pas, guerroyer sans fin avec une part de soi-même dont il était impossible de se défaire. »


Le racisme est-il le sombre apanage de tous les peuples ? Le rejet de l’autre, tort partagé ? L’ancienne minorité traite-t-elle nécessairement mieux la nouvelle ? Sans conclure, Rouge impératrice a le courage de poser ses questions. Et c’est plutôt bienvenu. Malheureusement, on ne devine jamais vraiment les intentions de l’auteure, enferrée dans un récit puissant, à multiples tiroirs. Toujours est-il que l’on hausse les sourcils lorsque Rouge impératrice nous expose en fin de récit le possible intérêt d’un génocide des « blancs ». Nul doute que ce n’est que de la littérature et que la réception qui est faite à de tels propos serait la même pour tous, tout le temps…


Rouge impératrice est un roman-monde. Un texte qui se projette, qui déploie toute sa force en posant devant nos yeux le possible monde de demain. Un monde futur qui inquiète autant qu’il rassure, un monde de demain où les rôles ont été inversés. Mais les abimes guettent toujours autant. Léonora Miano veut chasser ce qu’elle considère comme le racisme d’aujourd’hui en imaginant une société où l’inverse a gagné. De lourdes et nécessaires questions sont posées. Conclure serait trahir, alors on se refuse à conclure sur les intentions de l’auteure. Le pari est osé, les réflexions sont là. Et derrière le rideau, on ne saura jamais ce qui s’est joué.


Retrouvez la chronique en intégralité sur Lettres it be : https://www.lettres-it-be.fr/critiques-de-romans/auteurs-de-k-%C3%A0-o/rouge-imp%C3%A9ratrice-de-l%C3%A9onora-miano/

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le 19 oct. 2019

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