Place des rednecks

« Allô ?
– M. Anderson ? Ici Harmony Korine. Le cinéaste. C’est moi qui ai réalisé Gummo.
– Je ne crois pas l’avoir vu.
– Pourtant c’est comme si vous m’aviez pris quelques idées pour Rough Beauty. La photo de couverture de l’édition française...
– Vous avez un plan comme ça dans votre film ?
– Pas loin. Un gosse qui veut se faire passer pour un homme. Juste avant ma scène du pont. Et toutes vos autres idées, je les ai aussi. « Turkey », je crois avoir le même plan avec un chat mort...
– Un chat mort ! Mais vous aimez les gens ? Moi, mon truc, c’est plutôt l’empathie, la vie de tous les jours, les gens simples...
– Quand vous dites “les gens simples”, vous parlez des types qui en chient à partir du 10 de chaque mois ? qui mangent de l’écureuil ? qui boivent des bières torse nu devant leur cabane ? Des rednecks, quoi ?
– Oui... L’introduction d’Anne Wilkes Tucker explique qu’ils “vivaient ainsi avant la Dépression, pendant la Dépression et continuent de vivre ainsi depuis la Dépression” (p. 9). C’est tout à fait ça. Et puis ceux que j’ai photographiés viennent de Vidor, au Texas. Un fief du Klan, onze mille âmes, ravagé par l’ouragan Rita en 2005...
– Je vois. J’ai tourné à Xenia, dans l’Ohio. Vingt-cinq mille habitants. Leur grosse tornade à eux, c’était en 1975. Un carnage... Par contre, j’ai pu mettre un nain noir juif homosexuel dans mon film, mais c’est une autre histoire. Pour en revenir à vos photos, j’aime bien la façon dont les modèles s’y livrent, on voit qu’ils ont confiance en vous, même les solitaires, même les enfants. Même si techniquement, je trouve ça statique, composé, trop propre peut-être...
– On ne peut pas tout avoir... Mais vous n’avez pas répondu à ma question.
– Si j’aime les gens ? Bien sûr. J’ai de l’empathie aussi. Mais je crois qu’elle se voit plus dans vos photos. »