Ils sont quatre, quatre à mener chacun un bout de vie un peu amoché, un peu raté, qui les fait atterrir dans une même salle pour un projet absurde : écrire pour écrire. Produire du programme pour combler une grille et des quotas, sans empiéter sur les heures de visionnage préférées. Écrire un scénario pour une série que personne ne verra, c'est un peu la frustration extrême du scénariste ; mais c'est aussi une occasion, unique, de faire n'importe quoi. Le ton, dès le départ, est donné : la Saga sera grandiloquente, rocambolesque, inattendue.
Mais pas aussi inattendue que son succès, propulsant à une vitesse exponentielle ces quatre rebuts du royaume de la fiction au rang de superstars du récit. Commence alors une nouvelle série d'embûches, celles qui viennent avec la gloire de la Saga, et nécessairement, avec sa fin programmée.
L'introduction est intelligente : elle nous permet de faire connaissance avec chacun des personnages avant le début de l'aventure. Le quatuor verse cependant dans la caricature, avec ce vieux rompu aux techniques de narration, le fan de blockbusters nourri à l'image américaine, l'écrivaine parfumée à l'eau de rose (littéralement) et un jeune ambitieux qui vendrait corps et âme pour avoir son nom au générique. Les traits grossiers, cependant, siéent au ton du récit : après tout, les personnages de la Saga sont de plus vilains archétypes encore. J'aurais cependant aimé que le narrateur soit un peu plus qu'un spectateur de sa propre histoire, suivant le flot des événements, et que la seule femme du groupe ait aussi un autre rôle que celui de dessiner des coeurs.
Là où l'histoire se fait intéressante, c'est dans son regard sur le paysage des médias. Certes, l'oeuvre de Tonino Benacquista a quelques années maintenant, mais son analyse reste très valable. Il y a d'abord la volonté initiale de "produire pour produire" des chaînes de télévision confrontées à des quotas de production française, mais qui ne sacrifieraient pour rien au monde la diffusion aux heures de grande écoute des programmes étrangers (lire : américains) et français les plus populaires. Il y a le portrait des différentes générations : l'action américaine à grand spectacle de Jérôme, la vieille école du beau cinéma de Louis, la génération zapping de Tristan.
Mais plus encore, la direction presque absurde que prend le récit après l'explosion du "phénomène Saga" est révélatrice des médias de masse, de l'engouement des téléspectateurs, de la fameuse mythologie que Benacquista décrit dans de grandes exagérations difficilement crédibles, mais qui, justement, contribuent au caractère vain et irresponsable de cette obsession nationale. Saga, c'est aussi, de mon point de vue, une critique des proportions que peut prendre une série "phénomène", de l'importance que donnent les gens à des vies qui n'existent pas réellement.
Après la fin de la Saga et les conséquences désastreuses de ce finale, le roman prend malheureusement une direction un peu grotesque. On attend des sommets avec ce simulacre de kidnapping et de procès, puis avec le tour d'horizon d'un Marco déchu qui vient quémander l'aide de ses amis, bronzant tous au soleil de leurs paradis respectifs. La caricature, jusque là bien menée, m'a ici laissée de côté, trop sceptique face à l'accumulation, à la surenchère.
Surenchère qui culmine dans les dernières pages de Saga, où l'on voit un monde dirigé par les scénaristes, par les faiseurs d'histoire, un monde réel mais façonné par la fiction. On aimerait saluer l'idée originale, mais je n'ai jamais été fan des théories du complot ni des idées trop tirées par les cheveux. La suite des événements s'emballe, et à l'image de la Saga, devient sur sa fin incontrôlable.