Comme tous les textes de Marx il s'agit d'une intervention dans les débats de l'époque en vue de l'émancipation humaine, qui est dans cette partie de la vie de Marx assimilée de manière complexe à l'émancipation de la classe ouvrière.
Il se trouve ici que le texte a un rôle structurant dans le développement du mouvement ouvrier et du socialisme de manière générale. Pas tant parce qu'il a été beaucoup lu (il ne l'a pas été entre sa profération en 1865 et 1891 et même 1912 en France apparemment) mais parce qu'il a beaucoup joué dans l'édification du programme de la première internationale (1864-1876) puis dans l'orientation ultérieure des partis socialistes et de la deuxième internationale.
L'élément central qu'amène ce discours dans les programmes socialistes c'est la revendication d'augmentation des salaires.
Or aujourd'hui nous sommes dans une situation où malgré les imprécations de certains trotskystes l'objectif d'abolition du mode de production capitaliste et l'objectif d'augmentation des salaires sont assez distincts. Le premier n'est plus évoqué que par des organisation politiques marginales, des personnes dispersées et des groupes militants plus ou moins informels tandis que le second est revendiqué sporadiquement par des mouvements sociaux qui ont la vie courte et par des syndicats dont la compromission avec le capital est aisée à démontrer.


Marx finit par rappeler avec insistance que la formation d'organisations prolétariennes révolutionnaires doit aller de pair avec la revendication d'augmentation des salaires mais tout son raisonnement tend à montrer que l'on peut avoir confiance en ce que l'une et l'autre soit associées dans l'avenir du mouvement socialiste.


Il me semble qu'il y a un point de son raisonnement qui explique cette erreur. Il est dit que le montant des salaires dépend pour une part de lois économiques qu'il décrit brièvement et pour une autre part de caractéristiques "sociales et historiques" qui sont à la fois les traditions et les héritages sociaux des régions et des époques, ce qui est plus ou moins négligeable, mais aussi le fruit de l'affrontement entre les capitalistes et les travailleurs.
Mais cette condition sociale et historique de l'augmentation des salaires ne dépend pour lui que de revendications pour avoir un salaire équivalent à la valeur de la force de travail, c'est à dire un salaire suffisant pour survivre, et pour avoir sa part dans le progrès social induit par l'augmentation de la productivité.
Ce qu'on observe précisément depuis le XXe siècle dans les pays où le capitalisme est très avancé c'est que le salaire ne correspond plus au minimum qu'il faut au travailleur pour subvenir à ses besoins primaires. Cela revient à dire que la condition sociale et historique du montant des salaires est bien plus étendue que ne le prévoyait Marx.
D'abord les salaires ont augmenté pour prévenir les troubles sociaux qui naissaient de l'exploitation (au sens marxien, c'est à dire exploitation résultant de la capture par le capitaliste de la survaleur et qui débouche sur la dégradation de la vie du prolétaire). Ainsi le cinéma ou les séries vont servir d'industrie de compensation pour l'injection de sérotonine nécessaire au travailleur pour qu'il arbore son plus beau sourire au travail le lundi matin.
Mais l'augmentation des salaires est également le fruit d'une loi économique du développement du capitalisme que Marx n'a pas entrevenu. La masse des producteurs représente un marché croissant pour la masse des marchandises.
L'accumulation du capital repose donc à partir d'un certain stade sur l'embourgeoisement d'une part croissante de la société. Et on va pas se plaindre de pouvoir bouffer de la viande quand on veut. Mais l'accroissement de ce marché n'est pas seulement un accroissement des consommateurs de toutes les marchandises mais également un accroissement du type des marchandises: pour soutenir l'accumulation le capitalisme doit inventer des marchandises généralement toutes plus aliénantes les unes que les autres qui vont être achetées grâce aux salaires augmentés.


Toutes ces objections à la fois sur la nécessité de la diminution des salaires et sur le rôle politique de la revendication des salaires ont été développé par des auteurs ultérieurs qu'il faudrait lire pour bien comprendre Marx.

DaimyoNitsu
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le 22 mars 2020

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