Quand est-ce que vous allez comprendre que cela fait des siècles et des siècles que les humains ont les moyens techniques et scientifiques pour répondre à tous leurs besoins en un minimum d'efforts ? Je lis des critiques qui jugent "utopiste" ou "déraisonnable" l'affirmation que 3 heures de travail par jour suffiraient à répondre à nos besoins. Sans s'arrêter sur cette posture débile de bon sens petit bourgeois où le goût du juste milieu cache surtout l'ignorance et l'incapacité à avancer des positions nettes, il semble bon de rappeler à ces personnes qu'il y a depuis toujours des humains qui bouffent trois fois plus que vous, n'ont pas de carences et de cancer et se contentent de lever le bras pour "survivre".
Lafargue nous rappelle ces évidences que possède n'importe quel anthropologue, historien ou tout simplement habitant d'une campagne vivante où on sait produire sa bouffe et construire sa baraque.
Voilà une connaissance qu'il serait bon de marteler à tous les esprits en lieu et place des billevesées de la télépoubelle ou de l'école : NOUS NE TRAVAILLONS PAS COMME DES PORCS POUR RÉPONDRE A NOS BESOINS MAIS POUR ALIMENTER L'EXPANSION ILLIMITÉE DU CAPITALISME !
Dans un pamphlet d'une pertinence incroyable Lafargue secoue son lecteur pour l'ouvrir à des évidences que 150 ans d'idéologie capitaliste et de transformation idéologique du monde (quand la société elle-même vient confirmer une illusion idéologique : évidemment que la télé et netflix sont indispensables puisqu'on vous a privé de toute capacité à vivre avec vos voisins).
-Personne n'a jamais voulu de la fabuleuse civilisation occidentale, il a fallu forcer les extra européens à abandonner leur sens de la communauté, leur sensibilité et leur spiritualité pour qu'ils s'abrutissent comme nous à des boulots néfastes et inutiles.
-L'industrie capitaliste produit en permanence des nouveaux besoins pour écouler la surproduction permise par les gains de productivité. Ces nouveaux besoins sont souvent bien fades au regard de l'immémoriale expérience du banquet, de l'humour, du sexe et de la contemplation de la nature.
-L'industrie capitaliste doit dégrader les biens produits pour écouler les suivants. Le moindre artisan paresseux pourrait te confectionner une baraque, de la bouffe, des outils et des fringues plus solides que la merde qui nous entoure (nous les gueux, parce que tout en haut t'inquiète pas qu'ils ont ce qu'il faut).
-Tertiarisation de l'activité tourné vers le mode de vie bourgeois.
Lucidité fascinante sur l'avenir du capitalisme : expansion coloniale des marchés et de la main d’œuvre, rivalité impérialiste pour étendre les marchés nationaux, extension de la consommation aux producteurs...
Lafargue a en revanche le défaut de tous les marxistes : un penchant un peu suspect à la violence et à la contrainte et surtout une adoration de la technique que contredit toute la critique du travail salarié aliénant. Lafargue a la posture paradoxale de celui qui montre les régressions qu'ont amenées l'industrie capitaliste mais persiste à croire que les superbes machines vont nous sauver du travail.
La confusion est entretenue également sur le caractère marchand du travail et du capital. Si le travail prend tant de place c'est qu'il s'achète et s'échange au lieu d'être arrimée à la satisfaction des besoins et des envies. La rationalisation et l'optimisation du travail sont les corolaires de sa marchandisation
Mais voilà qui est davantage clarifié dans Le capital, au prix sans doute d'une réflexion plus conséquente et de formules moins jouissives : décidément pas facile d'être paresseux aujourd'hui...