N’importe quel lecteur qui, à un moment ou à un autre, s’est intéressé à l’art du live aura remarqué que si en typographie tout est lié, la question de la police de caractères à utiliser se trouve au trouve au centre de ce jeu d’influences : la langue du texte à composer peut influer sur la police ; sa longueur a des répercussions sur le format de la page, qui a des répercussions sur l’interligne, qui a des répercussions sur la police ; et naturellement, la police détermine en partie l’impression produite par la lecture : autant j’aurais un peu de mal à lire du Rabelais en Helvetica, autant une feuille de déclaration d’impôts composée en Garamond aurait quelque chose d’étrange…
Or, Sales Caractères, comme son titre l’indique, s’intéresse aux polices de caractères – qu’il faudrait distinguer des fontes, mais je n’ai pas compris l’explication… L’ouvrage ne rentre pas dans les détails de la composition d’un livre. Il emprunte d’ailleurs ses développements à la fabrication du livre aussi bien qu’à ce domaine qu’on appelle communication – ça fait dépassé – ou design graphique – ça ressemble à une activité de pointe ultra-moderne. On y lit, parmi des remarques circonstancielles sur tel ou tel caractère, tel ou tel créateur de police, des propos plus généraux sur « la vision du monde que cette activité sous-tend » (p. 70).
Ainsi est-il toujours bon de rappeler qu’« il y a des polices qui donnent l’impression de ne lire que des messages honnêtes, ou du moins sérieux » (p. 199), que « les caractères sans empattements ont un air moins officiel, plus contemporain, mais il arrive qu’ils fleurent bon la tradition, au même titre qu’une fanfare municipale » (p. 37) ou qu’il fallut attendre, pour voir apparaître certaines polices, que « l’amélioration des techniques d’impression et de la qualité du papier perm[ette] au tailleur de poinçon de découper des traits bien plus fins sans risquer qu’ils se cassent ou disparaissent sur la page » (p. 195). Certains développement sont tout de même plus poussés que ces généralités ; les extraits d’entretiens avec des créateurs de polices, notamment, proposent des pistes de réflexions intéressantes.
Les chapitres suivent une progression à la fois chronologique et thématique, parfois interrompue par des digressions de quelques pages sur quelques polices fameuses, et le tout est exposé clairement. Manifestement l’auteur n’est ni typographe, ni graphiste, et Sales Caractères est un livre de journaliste dans le bon sens du terme : il faut imaginer Simon Garfield comme un ex-profane devenu amateur éclairé, et qui comme tel s’adresse à des profanes. Cependant, l’ouvrage n’est pas toujours exempt d’une approche (grand public ? états-unienne ?) qu’il serait excessif de qualifier de sensationnaliste, mais dans laquelle le goût de l’anecdote et l’art de l’épate tiennent une place non négligeable. (Lire pour se faire une idée de cette approche la plupart des livres de la collection « Pour les nuls ».)
En dépit de cela, et malgré le côté « pouët-pouët » du titre et la couverture hideuse, d’autant plus regrettables pour un ouvrage consacré de près ou de loin à l’art du livre, Sales Caractères intéressera les amateurs, d’autant qu’il n’existe pas cent cinquante mille ouvrages lisibles à leur intention.