Salomé
7.4
Salomé

livre de Oscar Wilde (1893)

Ah ! pourquoi ne m'as-tu pas regardée, Iokanaan ?

Salomé, en voilà une drôle de pièce... Elle se repaît des thématiques symbolistes de l'époque, si bien évoquées par Félicien Rops et Alfred Kubin, entre autres. Et par "entre autres", j'entends évidemment Aubrey Beardsley, qui fut apparenté aux Préraphaélites, à l'Art Nouveau, au symbolisme et à l'Aesthetic Movement (donc, là, j'ai perdu les 3/4 de mon lectorat, au vu de la réaction de mon copain à qui je suis en train de lire la critique à haute voix...) Ayant précisément dégotté une publication de Salomé parue chez Ombres et agrémentée des dessins réalisés par Bearsdley pour l'édition anglaise originale (la pièce ayant été écrite en français), j'ai pris, je l'avoue, davantage de plaisir aux illustrations qu'au texte.


Car Salomé est tout de même une pièce bizarrement fichue. Un seul acte, une seule scène, un seul décor (Racine en aurait pâli d'envie !) Débutant dans un style très emphatique, avec des répliques répétées à l'envi, - Wilde ayant sans doute essayé d'imiter les maîtres du genre comme Maeterlinck -, la tragédie est d'abord centrée sur le personnage de Salomé, au moment où elle voit le prophète Iokanaan pour la première fois et qu'elle se prend d'une passion fatale pour lui. Entrent Hérode et Hérodias et alors, très rapidement, c'est bien Hérode qui devient le personnage central d'une pièce qui mêle soudain et bizarrement humour - à la Wilde - et tragédie. On reverra Salomé à la fin, qui, sur une promesse bien malavisée d'Hérode, dansera pour lui (quoique ce passage ne soit pas du tout décrit), et recevra, malgré les protestations et les atermoiements du souverain, la tête de Iokanaan en récompense. Et mourra.


Alors oui, on retrouve en effet ici un thème typique du symbolisme, à savoir la femme fatale. Une femme effrayante (pour les artistes symbolistes, j'entends) à cause de ses appétits sexuels - et ce n'est pas par hasard que Iokanaan passe son temps à clamer qu'Hérodias, la mère de Salomé, est une catin. Une femme toute puissante, puisqu'elle aura raison de tous les arguments d'Hérode pour obtenir la tête de Iokanaan, et en même temps vouée à la perdition ; pire, se perdant elle-même. Et, d'un autre côté, Salomé n'est qu'une jeune fille pas vraiment innocente, mais encore bien naïve. Consciente de la concupiscence masculine, elle en joue parfois (avec le personnage du jeune Syrien) ou s’en effraie (Hérode la dégoûte), et découvre les émois d'une sexualité qui s'éveille, pour le coup, violemment. C'est là qu'on retrouve l'ambivalence si bien rendue par Kubin, qui représentait aussi bien des femmes sensuelles et terribles que des femmes terrorisées par la sexualité masculine. Et qu'on peut aussi penser à Puberté de Munch...


Mais enfin, cette thématique n'est pas suffisante en elle-même. Certes, Wilde développe un personnage qui n'est guère qu'évoqué dans La Bible, mais enfin, ce n'était pas nouveau en 1891, et il a d'ailleurs largement puisé son inspiration chez Gustave Moreau et d'autres(les représentations de Salomé de Moreau ayant par ailleurs donné lieu à un célèbre passage de À rebours, de Huysmans, chef-d’œuvre du symbolisme littéraire). Certes, Wilde use de jolies métaphores sur la Lune, mais tout cela est un peu lourd et sent l'artifice. Heureusement, les tirades finales de Salomé, empreintes d'une poésie plus spontanée, sont réussies. Ce qui n'est pas, à mon avis, le cas de la pièce dans son ensemble, qui vaut plus comme témoignage de la prégnance du symbolisme à la fin du XIXème siècle que pour elle-même. On pourrait aussi ajouter que le théâtre n'est pas forcément le point fort de Wilde, mais, à tout prendre, je préfère L'importance d'être constant ou Un mari idéal à Salomé.

Créée

le 11 août 2017

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