Critique de Shaynning

Incontournable Février 2025

La petite maison Station T nous offre un nouveau roman en ce début d'année qui fait parti de ces romans coup de poing dont on sort un peu ébranlé. Il s'agit de l'histoire touchante d'un garçon qui fait face à une situation très difficile pour lui et qui marque la fin d'une amitié qui a toujours fait parti de sa vie.

Jonah est furieux, à un tel point qu'il décide impulsivement de fuguer. Le garçon de 12 ans entraine avec lui Roméo, alias "Méo", son frère. Le premier est sourd, vivant avec des implants cochléaires, et l'autre est muet. Pourtant, ils parviennent à communiquer à leur façon. En pleine nuit, les deux frères quittent le domicile et s'enfoncent dans la forêt. Que cherche à fuir Jonah? Qu'est-ce qui le frustre au point de fuguer? Et que cache l'état pour le moins inquiétant de Roméo, qui n'arrive plus à vouloir s'alimenter et qui souffre d'une fatigue chronique?

Attention, il y aura des divulgâches.

Il est rare que je retrouve des personnages avec un handicap auditif, plus encore ceux avec des ajustements du type "implants cochléaires". Nous parlons peu de cet handicap, je trouve, alors bien sur, je suis heureuse d'en trouver un ici. Sa particularité n,est néanmoins pas le sujet du présent livre, ce n'est qu'un détail et c'est bien ainsi. Pourquoi? Parce que quand un handicap est traité comme un aspects parmi d'autres concernant un personnage, il devient exactement ça: Un aspect parmi d'autres, et non un élément potentiellement choquant, stigmatisant ou victimisant. Normaliser les différences passe par ce traitement "standard" d'un élément composant un personnage.

Pour pouvoir parler de l'élément central de ce roman, je dois divulgâcher la fin. Une fin qu'on peut deviner grâce à certains indices de plus en plus limpides à mesure qu'avance le roman. Roméo est un chien en fin de vie. Il a été adpoté le jour de la naissance de Jonah, ce qui implique que leur relation existe depuis 12 ans et donc, que Jonah voit son chien comme un membre intégrant de sa cellule familiale. Son "frère" a toujours été là et il éprouve pour lui un amour aussi réel et complet que celui d'un humain pour un autre. On peut donc comprendre la détresse que ce jeune ado vit sachant que son précieux compagnon n'en a plus pour longtemps. Furieux que ses parents n'abondent pas en son sens, probablement plus pragmatiques que lui, il décide de faire quelque chose de risquer en fuyant. Je devine que les parents ont du parler d'euthanasie et que Jonah n'est pas psychologiquement rendu là pour accepter cette option.

Donc, le roman prend place dans cette fenêtre temporel où Jonah est en déni, quelque part dans un processus de deuil en marche. Il va peu à peu devoir prendre conscience que Roméo est très fatigué et il souffre. Roméo étant un chien, il ne peut verbaliser cette souffrance, mais comme il est notre narrateur , nous avons un aperçu de l’intérieur. Il a mal au ventre, souffre aux hanches, peine autant à se nourrir que de se déplacer. Il devient évident avec le temps que ce personnage est au bout du rouleau et que Jonah refuse de le voir. Il n'aura cependant pas le choix.

Un passage décrit bien le constat de ce personnage arrivé au bout de sa vie: " Je réalise que j'ai toujours parlé à Jonah et qu'il a toujours su m'écouter. Je ne suis pas muet et il n'est pas sourd. Nous sommes le duo parfait. Mon esprit est libre de toute inquiétude." Roméo est le meilleur ami de Jonah, son "frère", son partenaire. Ils partagent une relation "tricotée serrée" qui illustre que la communication est plus qu'une affaire de mots, c'est aussi une affaire de cœur. Ces relations sont précieuses et nous façonnent. Elles ont donc des impacts non pas que sur notre façon de vivre, mais notre façon de se développer. Je pense que c'est particulièrement vrai pour les enfants, qui sont en plein développement.

Jonah devra apprendre à poursuivre sa vie sans Roméo, mais ce qu'il a bâtit et ressenti pour son chien le suivra très certainement le reste de sa vie. C'est là l'un des grands miracles du sentiment amoureux que celui de vivre un sentiment au-delà de la mort et de pouvoir s'y référer dans l'avenir. Et surtout, je retiens de ce roman que les animaux peuvent être aimés avec la même force que les humains et ceux-ci le rendent bien.

Un roman touchant et doux-amer sur un sujet peu abordé en littérature jeunesse dans les romans, pour un lectorat intermédiaire à partir du 2e cycle primaire, 8-9 ans+