Fressoz démonte le mythe de la transition énergétique - le REMPLACEMENT du bois par le charbon puis par le pétrole et le gaz puis par le nucléaire et les "renouvelables" - fallacieusement décrétée panacée contre le changement climatique. En réalité, tous les spécialistes savent depuis très longtemps que la consommation de chaque ressource augmente comme jamais, et qu'elles s'additionnent. Les technologies "vertes" reposent sur les polluantes - puisqu'il faut du charbon pour fabriquer l'acier, du pétrole pour extraire les minerais et le bois, etc.
Les promesses ont précédé le souci climatique : dès le début , lors du projet Manhattan et ensuite, les pionniers du nucléaire envisageaient pour la fin du siècle des centrales surgénératrices qui produiraient leur propre combustible, pour obtenir une ressource infinie.
222
"Le problème est que la catastrophe climatique en cours n'est pas une affaire d'épuisement. C'est au contraire un problème de surabondance : notre bocal contient bien trop de charbon, de gaz et de pétrole et aucune limite dictée par la nature ne nous empêche de le transformer en fournaise à très courte échéance."
10 LES MALTHUSIENS ATOMIQUES
225 "en 1970, le patron de l'Atomic Energy Commission (AEC) Glen Seaborg imaginait le monde en 1995. Surgénérateurs par milliers, premiers pas vers la fusion nucléaire et colonie lunaire" "L'effondrement malthusien et la technophilie nucléaire ne sont pas contradictoires : ils se sont alimentés l'un de l'autre et ont donné naissance à l'expertise de la transition énergétique.
(...) le terme fut un concept de physique atomique - le changement d'état d'un électron autour de son noyau - avant de devenir un mot-clé de la futurologie nucléaire.
229
Le projet de surgénérateur nucléaire - qui "consomme plus d'isotopes fissiles qu'il n'en consomme" - apparaît dès le projet Manhattan quand Enrico Fermi considère que les quantités d'uranium exploitable sont limitées.
230 "Alvin Weinberg le confiera dans son autobiographie : "Je devins obsédé par cette idée que tout le futur de l'humanité dépendait du surgénérateur."
En 1949, il devenait nécessaire de faire des études prospectives pour justifier les énormes investissements que cette recherche requérait pour des décennies (un surgénérateur était déjà lancé dans l'Idaho! et un autre à Oak Ridge).
En 1953, Palmer Cossett Putnam remet à Carroll Wilson , premier directeur exécutif de l'AEC, le rapport "Energy in the Future", qui prévoit 60% d'énergie nucléaire et 15% de renouvelables en 2050.
"comme le souligne Weinberg dans son autobiographie, c'est Putnam qui introduit la futurologie énergétique dans le domaine du nucléaire.
Putnam développe trois arguments en faveur de l'atome : l'augmentation de la consommation énergétique américaine et mondiale, le renchérissement inévitable des fossiles et, déjà, la question du réchauffement climatique."
233 Harrison Brown, ancien du Met lab et membre de Caltech en 1951, crée la notion de transition énergétique. En 1956 il crée "avec Aldous Huxley et Kingsley Davis le think tank "Population Limited" ; il est aussi membre du Population Council, un autre groupe néomalthusien richement doté par le milliardaire Rockefeller III". En 1954 il met en garde dans "Challenge of Man's future" contre la raréfaction des ressources minérales.
236 Marion King Hubbert, géologue chez Shell et théoricien du pic de pétrole est "le troisième scientifique clé du malthusianisme atomique"
262
En 1977, après avoir commandé un rapport, Carter parle de transition dans un discours officiel. En 1978, "l'ONU prend une résolution pour encourager "une transition énergétique en dehors des fossiles"", suivie en 1979 par l'OCD.
Mais le rapport rendu à Carter reposait sur un graphique induisant en erreur, qui montrait non l'accumulation de l'exploitation des ressources, mais la diminution de la part relative des plus anciennes. Ce graphique était le fait de Cesare Marchetti, qui dès les années 60 "au sein du programme EURATOM où il occupe des postes importants auprès de General Electrics" puis en 1974 dans 'IIASA "International Institute of Advanced System Analysis", promeut la production de carburant hydrogène grâce aux centrales nucléaires.
266 Il rejoint en 1974 l'IIASA "dirigé par Wolfe Hafele, un savant atomiste (...) qui avait dirigé auparavant le programme allemand de surgénérateur (...) Harrison Brown a directement œuvré à la création du IIASA et [y] siège"
"Les méthodes du IIASA, inspirées par celles du club de Rome, reposent sur l'utilisation de modèles informatiques : explorer comment le système énergétique et l'économie se comportent sous différentes contraintes liées aux technologies, aux investissements, aux réserves de matières premières. Le but est de repérer le ou les scénarios assurant en 50 ans une transition douce hors du pétrole et vers un système énergétique inépuisable (catégorie incluant à la fois les renouvelables et le nucléaire)"
267
Mais "les simulations sont très sensibles à de petites variations de paramètres (sur les prix des matières premières par exemple) " et "en générant de multiples scénarios, es modèles informatiques donnaient l'impression que le système énergétique mondial était malléable et donc gouvernable. Or [Marchetti] est convaincu du contraire. : du fait de son énorme inertie, le futur du système énergétique mondial est déjà écrit et ils e lit bien mieux dans les statistiques historiques que dans les lignes de code informatique."
268 "retour aux sources de la futurologie, la courbe logistique. (...) diffusée de la démographie néomalthusienne vers la prospective technologique ("technological forecasting"). On s'en sert par exemple à la RAND pour anticiper la diffusion des systèmes d'armement et l'évolution de leurs performances [et] au sein de TEMPO, le département de prospective de General Electric."
269
"Par rapport aux atomistes malthusiens, les énergies sortent de l'histoire non par épuisement, mais par obsolescence".
Il pense que le passage du pétrole au nucléaire vers 2050 passera via le gaz naturel.
270
"on ne gouverne pas réellement cet ensemble gigantesque d e machines et d'usages qu'est le système énergétique global. Les décideurs ne sont que des "optimisateurs"
271
"après lui, nombre d'experts choisirent d'étudier eux aussi les dynamiques énergétiques comme des processus de diffusion de l'innovation"
272
"car elles semblaient donner à la destruction curatrice de Schumpeter une assise empirique. Aux USA, cela donna la théorie de la croissance endogène de Paul Romer, puis celle de l'innovation disruptive de Clayton Christensen. (...) Bruno Latour se mit à décrire la capacité de l'innovateur à reconfigurer entièrement le social La théorie de l'acteur réseau est née de cette vision de l'innovateur démiurge."
12 LA CARTE TECHNOLOGIQUE
"Comment la transition énergétique est-elle passée des débats sur la crise énergétique aux débats sur le changement climatique? (...) la transition (...) conçue par les malthusianistes atomistes des années 50-70, était une évolution progressive, à l'échelle du siècle et même d'avantage, qui concernait surtout les pays riches"
276
"Une futurologie néomalthusienne et technologique pour pays riches était soudainement devenu e u plan de sauvegarde pour la planète entière..."
277
"A la fin des années 1970 (...) ce qui fait débat n'est pas la réalité du réchauffement, mais son échéance."
Toutes les institutions internationales convergent sur cette analyse - IIASA, CIRED français créé en 1973, Tata Energy Research Institute indien,Energy Research Institute chinois, puis GIEC.
282
William Nordhaus, économiste, considérait en 1973 "inutile de se serrer la ceinture, car vers l'an 2000 le surgénérateur fournirait la véritable solution à la crise énergétique. (...) En 1974-1975, Nordhaus rejoint l'équipe de Marchetti au sein de l'IIASA" de Marchetti
283
"En 1973 il réfléchissait à l'allocation temporelle optimale du pétrole et du charbon américains ; deux ans plus tard il réfléchit de la même manière à propos du PNB mondial, la contrainte climatique ayant remplacé la contrainte minérale."
Alan S. Manne, le météorologue Robert White en 1979
285 "Comme l'a montré l'économiste Antonin Pottier, les travaux sur le climat publiés dans les revue s économiques les plus prestigieuses portent sur des questions abstraites, se prêtant bien au traitement mathématique. Par exemple : quels sont les sentiers d'émission optimaux? Ou alors, en se donnant une fonction de dommage, quelle est la température maximisant le bien-être mondial? Le problème est que ces théories stylisées éludent les problèmes technologiques concrets - peut-on vraiment décarboner le ciment et l'acier à l'échelle mondiale? Comme elles se placent dans le cadre de l'optimum de Pareto, elles négligent les questions de répartition : comment allouer de manière juste/efficace le quota de CO2 restant?"
286 Les industriels exploitent les promesses de transition pour la repousser, en misant sur le progrès technologique à venir.
"(Le) 16 octobre 1982 (..) le patron de la R&D d'Exxon, Edward David, personnage influent, ancien président des Bell Labs, ancien conseiller scientifique de Nixon, prononçait un important discours à l'observatoire de Lamont Doherty (...) devant un parterre de climatologues "ne remet pas en cause le réchauffement - il le fera la décennie suivante (...) est un exemple précoce de l'utilisation de la transition comme manœuvre dilatoire."
290
"quelques semaines après [David] affirme que ""Même dans un futur lointain, les fossiles domineront le système énergétique mondial."
291 "durant les trois décennies suivantes, la consommation de gaz allait tripler, celle de charbon doubler et elle de pétrole augmenter de 60%. En 2010 la Chine à elle seule brûlait autant de charbon que le monde entier en 1980."
"Dans les temporalités incertaines de la transition et de la catastrophe climatique, toutes les manœuvres dilatoires et tous les discours justificatifs allaient pouvoir s'engouffrer."Carroll Wilson, "premier directeur de l'Atomic energy Commission, commanditaire du rapport Putnam, il est aussi l'organisateur de premier colloque international sur le réchauffement climatique à Stockholm en 1970 A la fin de la même décennie, ce déçu du nucléaire devient un des plus ardents promoteurs du charbon. A l'instar de ce qu'il avait accompli pour le climat, il organise un groupe international d'experts afin de préparer la relance mondiale du charbon. La conclusion du rapport WOCOL, pour World Coal Report (...) tripler la production de charbon"
292
En 1979, les pays du G7 réunis à Tokyo s'engageaient sur cette voie.
293
"la stratégie du doute n'a peut-être pas eu l'importance que les media lui accordent." Les industriels "ont adopté en masse le discours bien plus astucieux de la transition énergétique, celui qu'Eward David avait inauguré en 1972.En 2000, British Petroleum prétendait se métamorphoser en Beyond Petroleum - on sait ce qu'il en est advenu. (..° Total a adopté le nom œcuménique de "Totalenergies" (...) la transition énergétique (...) étant un long processus, elles sont bien obligées, en attendant, de pomper, de forer, et même d'explorer, presque à contrecœur. (...) Vinci promeut "la route verte", Airbus l'aviation soutenable, Aramco promet de devenir "net zero" en 2050. Le ralliement de ces industries intrinsèquement polluantes à la transition a au moins un mérite : celui de clarifier la fonction idéologique de cette notion."
294
"Au moment où les premiers experts du climat, suivis par Exxon, faisaient l'hypothèse ,quelque peu osée, d'une transition en cours et arrivant en temps et en heure pour éviter la catastrophe, les premières modélisations du système énergétique global aboutissaient à la conclusion inverse. Que ce soient les méthodes d'optimisation linéaire utilisées par Nordhaus, l'analyse dsdesystèmes menée par Hafele au sein de l'IIASA ou bien les projections logistiques de Ralph Rotty au laboratoire d'Oak Ridge (...)
Même Alvin Weinberg, l'ardent promoteur du nucléaire, l'inventeur du terme de "techno-fix" l'admettait.. Le changement climatique arriverait trop tôt, bien avant la diffusion générale de l'énergie atomique"
296
"En 1979, les Jason, un groupe de scientifiques conseillant la Maison Blanche sur les questions de technologie et de défense, remettent à Carter un rapport en ce sens."
297
"En 1982, un important rapport de l'Environmental Protection Agency confirmait ce scénario pessimiste."
298
"La même année, le rapport "changing climate" de l'académie des sciences - le titre en lui-même signale la résignation - aboutissait à une conclusion identique."
"Comme l'a montré Romain Felli, aux USA plutôt qu'ailleurs, le réchauffement fut compris d'abord comme un problème d'adaptation pouvant créer de nouvelle opportunités économiques.
Dès novembre 1976, l'organisation MITER, un think tank proche des Jason et de la maison blanche, organisait
un symposium intitulé "Living with climate change : Phase II""
299
" EN 1979, le ministère de l'énergie américain (DOE) organise à Annapolis une conférence internationale sur les effets du changement climatique. L'adaptation domine les débats, présentée comme la seule stratégie envisageable. Le panel sur les conséquences économiques (dans lequel siègent Henry Shaw d'Exxon, Alvin Weinberg et Kenneth Boulding) estime que prévenir le changement serait bien plus coûteux que gérer ses impacts."
300
"En 1983, le rapport "Changing Climate" approuvait aussi la stratégie de l'adaptation
288
"Deux ans avant le colloque, en octobre 1980, Conviés à la demande la chambre des représentants," 27 météorologues et climatologues discutent du "problème du CO2"
"David Rose, un physicien nucléaire du MIT (...) propose une implacable critique de la transition."
303 "En 1986, le PNUE [Programme des Nations Unies sur l'Environnement], l'organisation météorologique mondiale et le Conseil International de la Science (ICSU) créent un comité sur le réchauffement climatique (...) : l'Advisory Group on Greenhouse Gases (AGGG). Pour ces experts, le temps de la discussion scientifique est révolu, il faut une convention climatique organisant la baisse immédiate des émissions." En 1988 "se tient la conférence internationale sur le climat de Toronto". On y "compare les effets du changement climatique à ceux d'une guerre nucléaire" et on y appelle à une réduction des gaz à effet de serre ainsi qu'à une taxe carbone sur les pays riches.
302 A la création du GIEC en 1988, "Le but des gouvernements, celui des USA en particulier, était de prendre la main sur une expertise climatique internationale, prompte à brandir des objectifs de réduction des émissions, sans soupeser leurs effets économiques.." . Ses chercheurs seront désignés par les gouvernements, en particulier US : les directeurs du groupe III du GIEC seront des techno-solutionnistes, des climato-sceptiques -l'un de ses directeurs, Reinstein, suivra les conseils de l'économiste Nordhaus, procrastinateur qui prône l'adaptation à un réchauffement "économiquement optimal" de 3,5 °C... On fait mine de croire aux prévisions de Marchetti sur le remplacement spontané
du carbone par l'hydrogène.
310 "après les climatologues Bert Bolin et Robert Watson, les présidents du GIEC [ont ] été deux économistes au cœur de l'essor asiatique des fossiles. Rajendra K. Pachauri (...) Durant son mandat comme président du GIEC, siégeait aux conseils d'administration de l'Oil and Na tural Gas Corporation et de la National Thermal Power Corporation - un géant indien de l'électricité qui se classait au sixième rang des entreprises émettrices dans le monde. Son successeur, l'économiste coréen Hoesung Lee, présidant le GIEC de 2015 à 2023, avait commencé sa carrière à l'époque du "Project Independance" de Nixon en tant qu'économiste chez EXXon. Conseiller du gouvernement sud-coréen en matière énergétique - son frère a été premier ministre du pays - il a longtemps siégé au conseil d'administration de Hyundai, un chaebol de l'industrie automobile mais aussi des centrales thermiques , du charbon et de la sidérurgie."
311 "A partir des années 2000" Que le groupe III devienne "l'apôtre de la transition [énergétique] reflète la force du diagnostic climatologique."
Des scénarios audacieux tentent de contrecarrer "l'inertie des investissements dans les infrastructures fossiles" .
"La hausse synchronisée, et paradoxale, de l'ambition climatique et des émissions de CO2 conduisit donc à des scénarios de baisse de plus en plus irréalistes (...) en échange de financements importants(...) La production des modèles d'évaluation intégrée (ou IAM) est devenue une science à part entière avec ses revues, ses récompenses et ses carrières(...) . Les modèles aux acronymes variés (FAIR, FUND, PACE, ou encore IMAGE) (...) se ramifient en familles et sous-familles, formant une jungle inextricable"
[introduisant] "des options technologiques assez rocambolesques."
313
314 "la géo-ingénierie est en réalité apparue avant l'idée de transition. En 1965, dans "Restoring the quality of our environment" [on propose de] recouvrir les océans de particules réfléchissantes afin d'en augmenter l'albédo. En 1977, Freeman Dyson "estimait qu'il suffisait de planter "mille milliards d'arbres" à croissance rapide pour régler le problème climatique. Ce salut dans l'arbre est ensuite suivi par les firmes pétrolières qui se découvrent une passion soudaine pour la protection des forêts dans les pays pauvres.."
316
"De nos jours, les projets de capture et de stockage de centaines de milliards de tonnes de carbone, allant de l'étrange à l'aberrant, les scénarios de "net zero" auxquels plus personne ne croit ont pour effet collatéral de marginaliser les autres futurs ou de les présenter comme des utopies militantes.. C'est grâce à la transition puis à la capture du carbone que la question de la sobriété a été soigneusement ignorée par le GIEC pendant 30 ans" (...) Les économistes font valoir qu'ils se contentent d'analyser une économie mondiale orientée de fait vers la croissance - leurs modèles partent des prévisions établies par l'OCDE - mais tout de même : parmi les 3000 scénarios expertisés par le groupe III, pas un seul n'envisage, même à titre d'hypothèse, une quelconque diminution de la croissance économique.. Selon l'expression galvaudée de Fredric Jameson, il est plus facile d'imaginer la fin du monde que celle du capitalisme."
318
en 1989 "Margaret Thatcher avait demandé à ses ministres de lui présenter des leviers d'action pour réduire les émissions britanniques. Les réponses allèrent toutes dans le même sens : inutile de se lancer dans une bataille perdue d'avance." ""Seule une augmentation drastique des prix du carburant aurait un effet appréciable"" mais ""les mesures à prendre seraient si sévères qu'elles auraient des conséquences catastrophiques sur notre compétitivité". Le ministre de l'énergie rappelait que la GB ne représentait que 3% des émissions, que cette part allait rapidement diminuer avec l'émergence de la Chine et de l'Inde et que, par conséquent, des efforts, même héroïques, n'auraient aucun effet perceptible sur le climat.
"Opérer des changements radicaux sur notre système énergétique aurait des coûts énormes. (...) On ne peut pas faire grand chose [...] pour empêcher le réchauffement global. On peut seulement espérer en atténuer les effets et nous y adapter."
319
"C'est à cette époque que la GB se prononce contre les objectifs de la conférence de Toronto de 1988 puis contre le projet d'écotaxe européenne. La France [a fait] volte-face juste avant la conférence de Rio de 1992. Sans le dire, sans en débattre, dans les années 1980-1990, les pays industriels et ceux qui allaient le devenir ont choisi - si ce mot a un sens - la croissance et le réchauffement et s'en sont remis à l'adaptation."
"La perception d'un fatum économique et climatique présida à la relance charbonnière, au contre-choc pétrolier, à la suburbanisation, au consumérisme dans les pays riches et à l'électrification du monde pauvre. (...) La transition n'est évidemment pas la cause de la résignation climatique, elle n'en est que sa justification. Depuis les années 80, elle a accompagné la procrastination générale, et elle continue de le faire."
321
conclusion LE POIDS DE L'HISTOIRE''
"l'essor actuel des renouvelables n'est pas contradictoire avec le maintien d'importantes capacités fossiles. Par exemple, dans l'ouest de la Chine, d'immenses parcs énergétiques ont été récemment inaugurés, associant panneaux solaires, éoliennes et centrales thermiques. Ces dernières, qui exploitent le charbon local bon marché, permettent de compenser la variabilité des renouvelables et de rentabiliser le coût des raccordements particulièrement important, l'électricité étant consommée 2000 km plus à l'est."
"Rappelons que la production électrique ne représente que 40% des émissions et que 40% de cette émission est déjà décarbonée"
325 "Pris ensemble, l'acier, le ciment, le plastique et les engrais représentent plus du quart des émissions mondiales et suffisent à eux seuls à rendre hors de portée l'objectif de l'accord de Paris."
326 "les renouvelables, comme toutes les autres énergies, sont prises dans l'écheveau infini des symbioses matérielles."
"en 2023, le plus grand parc éolien flottant au monde a été inauguré en mer de Norvège (...) pour alimenter des plateformes pétrolières."
327 "dans le premier quart du XXe siècle, le passage de la machine à vapeur au système turbine à vapeur et moteurs électriques avait divisé par 10 l'intensité carbone de la puissance mécanique, ce qui n'empêcha pas la consommation de charbon de croître. De même au XIXe siècle, le passage du bois au charbon avait permis de diviser par 40 l'intensité bois de l'énergie (une tonne d'étais permettait d'extraire 20 tonnes de charbon) mais cela entraîna paradoxalement une augmentation de la consommation de bois."
328
"La baisse de l'intensité carbone depuis 1980 cache le rôle inexpugnable et croissant des énergies fossiles dans la fabrication d'à peu près tous les objets (...) Depuis les années 80, l'agriculture mondiale a accru sa dépendance au pétrole et au méthane avec le progrès de la mécanisation et l'usage croissant d'engrais azotés. L'extraction minière et la métallurgie, parce qu'elles font face à la diminution de la qualité des ressources, deviennent souvent plus gourmandes en énergie. Le bâtiment utilise des matériaux de plus en plus intensifs en carbone : l'aluminium l'est d'avantage que l'acier, le polyuréthane plus que la laine de verre, les panneaux de bois plus que les planches. (..) Enfin, l'extension des chaînes de valeur, la sous-traitance et la globalisation accroissent les kilomètres parcourus par chaque marchandise ou composant de marchandise et donc le rôle du pétrole dans la bonne marche de l'économie."
329
"Enfin, l'efficacité énergétique croissante de l'économie repose sur l'utilisation d'objets de plus en plus perfectionnés, mélangeant de plus en plus finement une grande quantité de matières. (...) En augmentant la complexité matérielle des objets, le progrès technologique renforce la nature symbiotique de l'économie. Il permet certes d'accroître l'efficacité énergétique, mais il rend le recyclage difficile si ce n'est impossible.'"
330 "L'anthropocène désigne en réalité une double irréversibilité, une double accumulation, un cumul de cumuls : non seulement les flux de matière s'empilent dans les différents compartiments du système-Terre, mais les flux matériels anthropogéniques suivent eux aussi une logique additive."
331
"Les économistes ont longtemps promu la "destruction créatrice" , guidée par la taxe carbone universelle, une stratégie (...) qui repose sur une confiance extraordinaire dans l'innovation. Après avoir vanté la main invisible dans les années 1990-2000, c'est maintenant au bras financier de l'État qu'on prête de grands pouvoirs. Une nébuleuse d'experts néokeynésiens, d'ONG et de fondations prospérant à l'ombre des COP, avance régulièrement des estimations du "coût de la transition" [qui n'expliquent pas comment ces fortunes allaient] modifier la chimie du ciment, de l'acier ou des oxydes d'azote"
332 "Chaque projet politique, aussi juste soit-il - de la réduction des inégalités à la fin du patriarcat - , s'est curieusement découvert de supposées vertus climatiques. Il est de bon ton de moquer le "techno-solutionnisme" des ingénieurs, mais les postures normatives qui règnent en sciences sociales sur le climat sont bien plus ridicules encore."
"Cet essai d'histoire matérialiste n'offre aucune martingale, aucun programme de "transition réelle", aucune utopie verte et émancipatrice. Il montre en revanche le danger de faire reposer nos visions du futur sur de la mauvaise histoire et la nécessité (...) d'avoir une compréhension nouvelle des dynamiques énergétiques et matérielles. (...)
Née avec "l'âge atomique", envisagée comme réponse lointaine des pays riches à l'épuisement des énergies fossiles, la transition a été reprise, sans justification sérieuse, pour penser le défi climatique.
La transition est l'idéologie du capital au XXIe siècle. Grâce à elle, le mal devient remède, les industries polluantes, des industries vertes en devenir, et l'innovation, notre bouée de sauvetage. Grâce à la transition, le capital se trouve du bon côté de la lutte climatique. (...) La puissance de séduction de la transition est immense : nous avons tous besoin de basculements futurs pour justifier la procrastination présente.
(...) il ne faudrait pas que les promesses technologiques d'abondance matérielle sans carbone se répètent encore et encore, et que, après avoir franchi le cap des 2°C dans la seconde moitié de ce siècle, elles nous accompagnent tout aussi sûrement vers des périls plus importants."
324 "En 2020, les 3/4 de l'acier mondial sont produits avec du charbon"
"Les émissions des cimenteries ont triplé depuis 1990, représentant 8% des émissions globales."
"le plastique, responsable de 3 à 5% des émissions (..) et dont la production a quadruplé depuis 1990"
325 "les matières de substitution - le papier et surtout l'aluminium - ont une empreinte carbone plus élevée encore."
"Restent enfin les engrais azotés, responsables de 1,5% des émissions au stade de la production (...) mais de 5% si on prend en compte leur transformation en oxyde nitreux par les bactéries du sol."
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Chaque nouvelle source d'énergie a augmenté la consommation des précédentes. L'extraction du charbon a nécessité du bois pour construire les galeries, et les voies ferrées sont posées sur des poutres .
Le pétrole était d'abord transporté dans des tonneaux, mais la guerre a lancé l'industrie des barils (et la production métaux consomme du bois et du charbon), puis l'usage des chariots élévateurs, des palettes en bois et des cartons. L'industrie papetière consomme également une grosse part du bois ; et depuis quelques décennies, la lignine, "liqueur noire qui était rejetée dans les cours d'eaux, représente 64% de l' "énergie renouvelable".
La colle de formaldéhyde inventée par l'industrie aéronautique dans les années 30 devient le moyen de valoriser les copeaux de bois dans le contreplaqué, dont l'usage devient massif dans le bâtiment - y compris les coffrages de ciment - et la construction d'autoroutes.
L'exploitation du bois repose sur un réseau routiers, des machines - des tronçonneuses depuis les années 50 puis les abatteuses multifonctionnelles depuis les 70s. "La sylviculture devient une branche de l'agriculture intensive", usant d'engrais et de pesticides.
"en intensifiant l'agriculture et la sylviculture et en facilitant les transports internationaux de biomasse, le pétrole est la principale cause du reboisement" (196)
"la consommation africaine de charbon de bois a été multipliée par 7 depuis 1960 (...) tributaires des bulldozers qui ont ouvert les forêts à l'exploitation" (198-199)
"le triplement du bois énergie dans les pays riches au XXe siècle, l'explosion du charbon de bois en Afrique depuis 1960,la multiplication par 3 du charbon dans le monde depuis 1980, le pétrole qui continue bon an mal an de croître malgré ou grâce aux chocs pétroliers qui se répètent - et le fait crucial que tous ces phénomènes soient liés - , tout cela aurait dû nous conduire, depuis longtemps, à abandonner la "transition énergétique" en tant qu'outil analytique"
9 Technocracy inc.
"Le radicalisme énergétique est une idéologie de scientifiques et d'ingénieurs frappés par la seconde loi de la thermodynamique, impressionnés par la planification économique durant la première guerre mondiale"
"Frederick Soody. Dans Cartesian Economics (1922) (...) propose une refonte totale de l'économie sur des bases rationnelles, c-a-d énergétiques. (...) Pourquoi le capital peut-il réclamer un intérêt et croître alors que ses soubassements physiques (...) se dégradent inexorablement? (..) Et du fait de la croissance démographique mondiale, (...) regain d'impérialisme, la première guerre mondiale"
207
Aux USA, "un groupe d'intellectuels et d'ingénieurs '
(...) se réunissent sous la bannière de la "technocratie", un mot nouveau apparu en 1919 dans les colonnes de la revue International Management (...) WIlliam Smyth célébrait la planification de 1917 comme un révolution inaugurant (...) le management industriel à l'échelle de la nation entière."
"un groupe d'intellectuels réunis autour du célèbre Thorsten Velblen. En 1917, ils fondent la Technical Alliance . Des scientifiques de l'université de Columbia comme Walter Rautenstrauch, Leland Ods, Marion K. Hubbert, ou
Richard Tolman, des économistes comme Stuart Chase, des intellectuels comme Upton Sinclair, Walter Lippman, Herbert Croly, Harold Loeb ou Lewis Mumford [sortent un livre manifeste] The Engineers and the Price System (1921). (...) L'électrification, l'automatisation, la production de masse, la standardisation, la cartellisation auraient rendu obsolète le capitalisme.''
209
"Le "soviet des techniciens" que Veblen appelait de ses vœux ne devait effaroucher personne (...) le socialisme ne naîtrait pas de la lutte des classes , mais d'une "transition" indolore guidée par les experts et découlant naturellement de la modernisation du système industriel."
217 "
La crise de 1929 n'est donc ni financière ni économique : elle est à la fois technologique et malthusienne, elle correspond au pic d'une économie ultraproductive dans un monde fini."
Pourtant, dans les années 20-30, "les ingénieurs occupaient déjà les premières places à Washington"
218 en 1939, Howard Scott expliquait le North American Technate était indestructible car il pouvait "à loisir, arrêter le gulf stream et provoquer un nouvel âge glaciaire de 'autre côté de l'atlantique : "It is cheaper to kill on a continental scale""