Where are the SCUMs ? Pour la misandrie au cinéma

Une fois n’est pas coutume, cette introduction sera in fine la conclusion : lorsque Valerie Solanas a rédigé en 1967 Scum Manifesto, il ne s’agissait pas d’un manifeste pour déployer un nouveau virage du cinéma mais celui de l’expression de sa profonde colère envers la société dans laquelle elle – nous – vivait. Une société sous le joug du phallocentrisme, mettant la moitié de sa population en péril. Elle propose dans ce texte une manière de sauver l’humanité ou plutôt les femmes de leur déchéance, à savoir éradiquer le « mâle » de la surface de la Terre au profit des « scums », c’est-à-dire, « Les femmes sûres d’elles, celles qui n’ont pas froid aux yeux, qui aiment que ça bouge […] », « des filles à l’aise, plutôt cérébrales et tout près d’être asexuées ». La distinction biologique peut sembler trop binaire pour certains lecteurs aujourd’hui, cependant Mavis Haut propose une interprétation plus globalisante :

She uses the term men to condemn all persons of either sex who perpetuate the supremacy of patriarchal institutions, which she believes in all seriousness to be a deadly threat to humanity. 

Ce raccourci dans le langage s’explique simplement par le fait que la majorité des ambassadeurs du système phallocentrique sont d’abord les hommes – c’en sont aussi les créateurs.

Le ton cinglant de Valerie Solanas marque une rupture avec un féminisme en cours à son époque, toujours actuel, qui demande l’égalité sagement en montrant patte blanche aux oppresseurs ; en descendant dans la rue tenir des piquets de grève, en grappillant quelques droits fondamentaux au sein des institutions après d’interminables tractations, et aujourd’hui, en faisant quelques posts Instagram. Ce manifeste porte donc la double casquette de satire, forme d’expression privilégiée de l’énonciation masculine. Les lecteurs n’étaient pas préparés à ce genre de discours – ce qui est toujours le cas. Bien que sa proposition génocidaire en ait effrayé plus d’uns/unes, d’autres y ont trouvé leur compte :

Je me souvenais très bien de la première fois que j’ai lu le SCUM Manifesto, je riais toute seule, très très fort, d’une façon presque indécente. ;
Au premier degré, le SCUM Manifesto est un essai féminazi. Dès le second, c’est un uppercut à hurler de rire. ;
Those [The feminists from the seventies] who read and disseminated the text were especially challenged, inspired and influenced by two specific dimensions: the fantasy of a world without men and a political imagery of unabashed violence. These privileged topics reflect two important characteristics of misandry when claimed by these feminists: a prominently metaphorical or symbolic dimension, and empowering effects.

Avec des retours aussi positifs, on aurait pu penser que, depuis, des foules se seraient engouffrées dans cette voie et se seraient (enfin) saisi du seul territoire où les hommes sont particulièrement bons selon Solanas : les relations publiques. Par cette expression qu’elle n’a pas davantage définie, on pourrait lui attribuer le sens de leur performance dans l’usage des outils « communicationnels » que sont d’abord les arts (littérature, peinture, cinéma, etc.) et d’autres aux objectifs plus mercantiles comme la publicité, tous plus simplement résumés sous l’appellation de soft power. Dans les années 1960, à l’époque de la publication de SCUM Manifesto donc, les films d’exploitation ou de série B avaient davantage de latitude dans les discours portés à l’écran, car ils n’étaient pas soumis aux vérifications du circuit officiel de production et de distribution, plus particulièrement les films affiliés au trope du girl gang. Sur le principe, il s’agit de films où « les protagonistes féminins recourent systématiquement à la violence physique, s’organisent dans des groupes très soudés, non-mixtes ou alors sont les leaders de groupes mixtes, elles résistent à l’hégémonie et aux normes de la famille nucléaire, elles sont armées, conduisent des voitures et des motos puissantes, notamment en affrontant des rivaux masculins en compétition (mais aussi entre elles), elles ont une sexualité dont elles ne s’excusent pas, et prennent généralement un grand plaisir à être « méchantes » ». Cette définition s’oppose déjà sur de nombreux points avec la vision de Valerie Solanas, d’autant que ces productions sont la plupart du temps le fruit d’hommes, et nous ne pouvons pas nous empêcher d’imaginer qu’elles ont surtout été créées pour satisfaire leurs fantasmes. She-devils on wheels, (1968) par exemple, de Hershell Gordon Lewis, proposent des scènes où les femmes du gang The Man-Eater sélectionnent suite à leurs compétitions de motos leur partenaire pour la nuit à titre de récompense. Il ne s’agit pas d’autre chose que de l’inversion du motif du harem. Apparu avec l’intérêt des Occidentaux pour l’Orient au XVIIème siècle, produisant quantité d’images et de récits – sans avoir mis, pour la plupart de ces rêveurs, un orteil sur ce territoire non-cartographié – où de riches hommes pourraient « consommer » n’importe quand une femme de leur choix provenant de leur « réserve privée ». Les scums de Solanas n’ont pas pour dessein d’adopter les codes et les fantasmes masculins, mais de les détruire.

Donc, où sont les images audiovisuelles scums ? Où sont les images audiovisuelles misandres dans un langage plus moderne ? La réponse est nulle part. Elles n’existent pas. Ou seulement quelques miettes disséminées le temps d’un épisode de série, des 90 minutes d’un long-métrage. Aucune œuvre de bout en bout n’est aussi radicale que l’est Valerie Solanas. Peut-être faut-il donc inventer un nouveau projet de production ? Nous vous le proposons.

Pour rendre les femmes heureuses au cinéma, voici une sorte de Bechdel Test version Solanas nécessaire à l’estampillage des films sortis et des films à produire :

1 - Ne seront produits que des films avec des femmes sûres d’elles, qui en veulent, qui bourlinguent et qui se fendent la poire toute la sainte journée.

2 - Le production sera entièrement féminine du casting à la production, de l’intégralité de l’équipe technique sur le tournage à celle de la post-production. (À terme, ces castes de métiers seront vouées à disparaître, car toutes tourneront d’elles-mêmes sur chaque poste.)

3 - Si par malheur un homme est à l’écran – car cette engeance n’aura pas disparu après la lecture de cette proposition –, il ne sera qu’un instrument pour asseoir la position des femmes.

Exemple : Si les héroïnes se font draguer dans la rue par un immondice rescapé, elles sortiront leurs grands schlass pour trancher sa chétive carotide (car elles auront désormais des vestes avec poches intérieures, et des pantalons où leurs mains pourront tenir entièrement), laissant sa dépouille sur le trottoir comme exemple pour les autres détritus.

Exemple 2 : Si un homme doit vraiment prendre part à la narration, il s’agira forcément d’un sympathisant scum, il devra s’introduire selon la formule consacrée : « Je suis une merde, une merde minable et abjecte » pour se faire reconnaître.

4 - Ces productions ne seront pas distribuées sous les genres de la dystopie, de l’utopie, de la fantasy et autres genres trop éloignés du réel. Car le scum est réel.

5 - Ça ne changera sans doute pas la face du monde, mais ça défoulera !

6 - Concernant les œuvres déjà produites, si les quatre premiers critères ne sont pas remplis : la délivrance du certificat « scum » ne pourra être effectuée.

Bibliographie

Encyclopédia Universalis, Orientalisme, arts et littérature, www-universalis-edu-com.gorgone.univ-toulouse.fr/encyclopedie/orientalisme-art-et-litterature, consulté le 22/01/2024.

European Journal of Women’s Studies, « Hating men will free you ? Valerie Solanas in Paris or the discursive politics of misandry », Léa Vide, Vol 28., pages 305 à 319, 2021, doi-org.gorgone.univ-toulouse.fr/10.1177/13505068211028896, consulté le 22/01/2024.

Feminist Theory, « A salty tongue, At the margins of satire, comedy and polemic in the writing of Valerie Solanas », Mavis Haut, SAGE Publications, vol. 8, pages 27 à 41, 2007, journals-sagepub-com.gorgone.univ-toulouse.fr/doi/abs/10.1177/1464700107074194, consulté le 22/01/2024.

Le Monde, « Misandrie : « La forme pamphlétaire » ne justifie pas les abus de la liberté d’expression », Evan Raschel, 16/10/2020.

Solanas Valerie, Scum Manifesto, Éditions 1001 Nuits, 2021 (première édition américaine 1968), 115 pages.

Transatlantica, “Exploitation Feminism: Trashiness, Lo-Fidelity and Utopia in She-Devils on Wheels and Blood Orgy of the Leather Girls ”, Kristina Pia Hofer, 02/2015, doi.org/10.4000/transatlantica.7928, consulté le 22/01/2024.

Wikipédia, Code Hays, fr.wikipedia.org/wiki/Code_Hays, consulté le 22/01/2024.

WordReference, scum, www.wordreference.com/enfr/scum, consulté le 22/01/2024.

marinemh
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le 18 févr. 2024

Modifiée

le 18 févr. 2024

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