Longs crachats dans une soupe postmoderne.
Quand un performer virtuel se veut connu et reconnu, plein d’ennemis et d’envieux, additionnant les milliers de followers, abonnés et amis virtuels, s’acharnant à créer des fourmilières admiratives à buzz stérile autour de ses avatars qui s’évaporent sur le net comme des grumeaux de purée Mousline dans un bol de silence vaniteux, l’on s’attend à lire son récit ironiquement titré de façon optimiste comme l’on pousse un rideau de boîte échangiste provinciale, avec l’assurance d’en sortir brumeux et dégoûté sur une ligne d’arrivée pour déchéance faussement libérée.
Il y sera donc question de Trésor, artiste underground, DJ qui connaît tout le monde, dont les soirées sont prisées, animateur déjanté pour nuits parisiennes, jonchées de pétasses et de merdeux sur le retour. Le narrateur (possible auteur de textes trashs en ligne, plus théoriquement coach personnel) est à la fois fasciné et révulsé par ce type qui a réussi dans un milieu qu’il fréquente pour ses marges. Fasciné au point de se travestir en Marion, fausse ingénue aguicheuse, afin de piéger ledit Trésor, tenté par les adolescentes. Aspirant théoriquement à travailler sur l’identité virtuelle de cadres supérieurs, le narrateur se perd vite dans une confusion schizoïde ne laissant au lecteur aucune identification possible, tant les figures qui s’y déploient sont toutes plus repoussantes les unes que les autres. Le climat est délétère, il ne variera jamais : «Je prends la bretelle de sortie de la Patte d’Oie d’Herblay. Le jour se couche dans vingt-cinq kilomètres de nuages pleins de flotte» (p.38). Aucune aménité pour l’entourage « Parce que parfois je n’ai pas eu le choix, il a fallu que je goûte une fille de joie pour pallier ce sac sans hormones qui ronfle dans mon lit»(p.32). Le mépris pour les artistes contemporains dessine la trame d’une overdose généralisée : «Je dis que le monde est désormais salopé par ces milliers de personnes qui se prennent pour des artistes. Ils pensent exprimer quoi sinon leur pauvre histoire de poils au cul» (p.41).
L’inertie et la stérilité d’une vie passée sur les réseaux se déclinent derrière chaque désir, rien de sain ne vient, pas la moindre harmonie, ses phrases branchées sur des tournures mentales pleines d’auto-dénigrement, d’absence totale d’empathie et de ressentiment, parviennent régulièrement à leur effet Larsen méchamment recherché : «L’heure tourne et je ne fais plus que passer d’une chaîne à l’autre, d’un tchat aussi à la lecture d’un site sur les dégâts de la pollution, d’un site sur les nouvelles voitures économiques, les grosses cylindrées, à un article sur un mec qui a tué ses gosses avant de retourner l’arme sur sa face, son front, le joli front du fou qui ne voulait plus être papa»(p.43). Il y est question de mégalomanie et d’arrivisme, entre envie moisie et hostilité vivace : « J’ai regardé en détail ce qu’il fait. Lorsqu’il a un lamentable encart dans un magazine, il en fait des caisses, étalant sa médiatisation sur tous les supports où il possède un compte. Je le vois bien, tout comme à l’époque, il suce le talent des autres, des naïfs, des plus jeunes qu’il prétend prendre sous son aile. L’ordure, greluche chimique qui pue sans doute l’ail et la lâcheté à dix bornes» (p.44). L’auteur s’épanouit et se nourrit dans les détails de l’infra-monde, scrutant la vie des corps et de leurs résidus, laissant traîner ses pensées excrémentielles à toutes les pages, ainsi encore : «La voix de ma femme devient buée, elle aussi. C’est donc ça : être à fleur de peau. L’odeur du gel douche, les contractions dans le bas-ventre. J’ai du plaisir et j’ai de la rage aussi» (p.45). Il sème quelques fulgurances poétiques pour aérer ses murs d’amertume : «Imprenable, quelle vue, je crois avoir pensé un jour qu’une vue imprenable était une forteresse, un château fort pour la vue»(p.47). Globalement, dominent toutefois couperose, corps flasques, lâchetés, paranoïa, fantasmes incrustés dans le glauque, le tout remontant à la surface, visant à éclabousser les regards qui s’attardent sur sa prose dérangée : «ils brident le volume pour qu’on n’emmerde pas les voisins des cages à lapins — j’ai mis un reportage sur des pumas. Ils donnent des prénoms à ces bêtes et Arditi fait la voix off avec ce petit ton amer qu’il a dans le trémolo. Dégueu’. Sur Google, une fille s’est enfoncé une orange dans la vulve et ça ne m’empêche pas d’avoir envie, encore. Je caresse ma peau lisse du crâne à la cuisse. J’imagine mes poignets menottés à la tête de lit et mon corps ouvert, mes cuisses agencées comme une entrée de boulevard à bites»(p.54).
Le lecteur piégé dans un spectacle d’inanité déconstruite n’a plus qu’à se faire une raison, aller au bout de sa purge en regardant à distance ce grand déballage d’abrutissement dont il est sans doute plus qu’il ne se l’avoue un reflet récurrent : «À l’heure d’ouvrir le volet, je me sens défaillir, je roupille à moitié, tout le monde voit ce que c’est de dormir à moitié, se laisser le corps partir entre deux eaux, sourire à la mollesse, rester figé, l’esprit englué dans les gazouillis télé»(p.55). Dégoût, chiasse, vomi, baise pédophile, déchets de l’inconscient, dégénérescence pour horizon, Vérol/Houssam plante son étendard purulent dans ses phrases comme une mire sur le mur de la branchitude, en connaisseur honteux, vaguement traître sur les bords de ses pulsions syncopées.
Souvent l’impression de lire une longue succession de statuts mentaux, incohérents et lubriques, foncièrement haineux et frustrés. Son protagoniste central s’invente une identité pour approcher toujours plus près de ses propres démons, en un rythme répétitif et lancinant, obsédant.
Verol poursuit encore : «Ils ont des têtes avec une fine couche de poussières toxiques, de draps béton presque invisibles déposés sur leurs joues, crânes, crêtes de nez»(p.76).
Le paradoxe s’il faut en chercher un, dans l’effort verolien, se logerait au beau milieu de cette pratique visant à rassembler péniblement autour de sa figure tout ce qu’il fuit dans son écriture, adoptant la position acharnée d’une levrette soumise, faussement victimaire, indirectement réactionnaire, pour ensuite renverser la table de ses saillies masochistes en percussions sadiques, dans un jeu de masques pervertissant. Manque toutefois un minimum de rebondissements factuels, de colonne vertébrale dans son récit, pour ne pas sombrer, de façon régulière, dans l’ennui provoqué par une installation close sur elle-même, propre à l’auto-fiction (même « monstre »), tant le milieu traité s’y annonce par avance petit, mesquin et asphyxié en soi. La prose qui se colle à sa description poisseuse ne faisant souvent que s’auto-parodier sans parvenir à émouvoir. Et si c’était de cela dont traitait cette fausse Seconde Chance ? La désertification de l’humain, rivé à son égo et ses ombres creuses, sentencieuses, vainement éructées sur fond de manque structurel. Un humain excavé qui se débattrait dans sa mélasse, s’offrant, exhibitionniste de ses névroses, pour mieux contaminer plutôt qu’aider ceux que d’autres nommeraient «prochains». Au risque de se perdre dans le lointain. Non sans avoir laissé derrière lui «la petite flaque de feu dans la tronche» (p.1).