Seul dans le noir
7.1
Seul dans le noir

livre de Paul Auster (2008)

Au rez-de-chaussée d'une maison où dorment, à l'étage, sa fille et sa petite-fille, August Brill est tenté de ressasser son passé, « d'échec en échec, bien plus d'échecs que de réussites ». Pour éviter d'y penser, il invente un personnage qu'il met dans un trou, sans savoir ce qu'il va en faire. August a été critique littéraire mais n'a écrit que des articles. Il fait ici, pour la première fois peut-être, œuvre de fiction : Owen Brick, tombé de nulle part, se souvient d'une vie antérieure et ne comprend pas comment il se retrouve en uniforme, embarqué dans une guerre civile à laquelle il ne comprend rien. L'Amérique qu'il connaît n'est pas celle qu'il découvre. Les attentats du 11 septembre n'ont pas eu lieu, les Etats ne sont plus unis et se sont levés les uns contre les autres.
Ce pourrait être une fable sur une autre version possible de l'histoire récente. Ce l'est, d'ailleurs, inspirée par la pluralité des mondes de Giordano Bruno. Dans des univers parallèles, plusieurs suites d'événements pourraient se produire en un même lieu...
Seul dans le noir est aussi une construction perverse dans laquelle un serpent se mord la queue, mais sa tête est du côté du réel tandis que la queue plonge dans un rêve éveillé. Il n'y a qu'un seul responsable à la guerre que vit Owen Brick : August Brill, sans qui cet échafaudage n'aurait pu exister. Pour y mettre fin, Owen reçoit la mission d'exécuter celui qui l'a créé. Il ne retrouvera son univers familier qu'à cette condition – qu'il refuse.
Le roman se referme sur lui-même, aussi serré qu'un nœud gordien qu'il faudra bien trancher d'une manière ou d'une autre. Le recours au fantastique n'est en tout cas pas ici une facilité : Paul Auster pose les éléments de son énigme impossible avec une précision presque effrayante.
Et puis, comme August Brill ne parvient pas à échapper complètement à son passé, celui-ci l'occupe aussi pendant les nuits sans sommeil au cours desquelles la moindre lampe de chevet le blesse comme un phare puissant braqué sur lui. Il faudrait d'ailleurs s'interroger sur son hypersensibilité à la lumière, peut-être un autre signe de sa réticence à regarder les choses en face. Il faudra qu'une autre nuit, sa petite-fille qui ne dort pas non plus ait une conversation amicale avec lui pour reconstituer un parcours amoureux où la trahison a tenu sa place.
La conversation occupe une quarantaine de pages, presque à la fin du livre. Il s'y dit de belles choses par-dessus le fossé des générations que les deux insomniaques tentent de combler en dévoilant chacun ses blessures, sans exhibitionnisme, dans une chaleureuse complicité. Mais, par rapport aux trois quarts de l'ouvrage, cette partie ressemble à une pièce rapportée. L'ambition littéraire est moindre. Et, si on ne se laisse pas séduire par le ton du dialogue, un brin de déception perce. Elle ne fera cependant pas oublier la spectaculaire audace du reste.
pierremaury
7
Écrit par

Créée

le 1 juin 2011

Critique lue 461 fois

1 j'aime

pierremaury

Écrit par

Critique lue 461 fois

1

D'autres avis sur Seul dans le noir

Seul dans le noir
MisterPH
8

Critique de Seul dans le noir par MisterPH

C'est un récit court, moins de deux cent pages, mais parfaitement maîtrisé. Le personnage principal en est August Brill, critique littéraire à la retraite, qui souffre d'insomnie. Cet homme a besoin...

le 14 sept. 2012

1 j'aime

Seul dans le noir
pierremaury
7

Contre le souvenir, la fiction

Au rez-de-chaussée d'une maison où dorment, à l'étage, sa fille et sa petite-fille, August Brill est tenté de ressasser son passé, « d'échec en échec, bien plus d'échecs que de réussites ». Pour...

le 1 juin 2011

1 j'aime

Seul dans le noir
Bruit_et_Harpie
8

Critique de Seul dans le noir par Bruit_et_Harpie

L'impression que Paul Auster revenait à une écriture plus new-yorkaise, plus en phase avec ses débuts, m'a été confirmée au fil des pages. Le sujet désarçonne forcément, dérange, mais finit par nous...

le 5 août 2010

1 j'aime

Du même critique

La Carte et le Territoire
pierremaury
2

Encore un raté

Comme il le fait souvent, Michel Houellebecq embrasse une thématique qu'il décline en thèmes secondaires, sur laquelle il construit un récit et plaque des réflexions. Il est question d'art et de...

le 1 juin 2011

9 j'aime

Proies
pierremaury
7

Mo Hayder sur la piste d'un pédophile

Un vol de voiture, quoi de plus banal? Quand une petite fille se trouve sur la banquette arrière au moment du vol, c'est évidemment moins banal. Quand plusieurs voitures sont volées avec, chaque...

le 13 juin 2011

4 j'aime