Shakespeare n'a jamais fait ça par Anthony Boyer
« On m'avait réclamé un livre sur notre voyage, j'avais dit oui et ça représentait un sacré boulot pour un type qui déteste voyager. Je me suis rappelé cet article de Norman Mailer consacré au débarquement de l'Homme sur la Lune, je crois que c'était pour le magazine Life, j'avais été vraiment désolé pour lui, puis j'avais pensé au pognon qu'il s'était fait en échange et je m'étais dit, bon, ça paie la bouffe et le loyer, il passe à la pointeuse comme tout le monde. La rumeur voulait qu'il ait touché un million de dollars. J'avais plus de chance que Mailer : j'écrivais sans avoir reçu la moindre avance ou promesse de publication. Si je me plantais, personne n'en souffrirait. C'est ainsi que les choses se sont toujours passées pour moi, ça garde mon direct du gauche incisif et mon crochet du droit dévastateur. »
(p.182)
Petite maison d'édition encore jeune (puisque fondée en 2008), les éditions 13e note sont assez coutumières de littérature américaine et des thématiques sexe, drogue et rock n'roll. On peut compter dans leurs rangs des auteurs comme Dan Fante, James Fogle ou encore Tim O'Brien. Plus récemment, c'est un joli coup que viennent d'effectuer ces éditions puisqu'elles publient un texte inédit de Charles Bukowski. Shakespeare n'a jamais fait ça n'est pas à proprement parler un roman, mais plutôt une sorte de carnet de voyage que l'écrivain a tenu lors de son passage en Europe, notamment en France et en Allemagne, terre qui l'a vu naître. Le vieux Buk, alors accompagné de sa compagne Linda Lee, y donne ses impressions et relate notamment l'épisode culte de son passage chez Bernard Pivot, dans 'Apostrophes', alors qu'il était sérieusement imbibé. Mais que le lecteur ne s'attende pas ici à de fracassantes révélations, le poète alcoolisé semble avoir un sérieux trou de mémoire à cet endroit.
Si la boisson est très présente dans ce récit de voyage pathétique, le sexe, autre thème récurrent de l'auteur (Women), est relativement passé sous silence. Laborieux de A à Z, ce récit demeure fidèle à la plus pure veine bukowskienne, on y retrouve une gouaille certaine (il évoque d'ailleurs Céline) et beaucoup d'humour. L'écrivain vineux y livre également son regard sans pareil sur le monde qui l'entoure, ce qui débouche sur des constats portant à rire ou à méditer, c'est selon. Notons que ce récit et ses quelques poèmes qui lui font suite sont richement illustrés de très bonnes photographies de Michael Montfort. Une lecture très plaisante que les amateurs du vieux dégueulasse devraient apprécier.