Je termine l'ouvrage avec un sentiment paradoxal.
Tout d'abord, je ne suis pas arrivé à ce livre par intérêt pour Shining mais pour l'intérêt que je porte à la question de la surinterprétation. En ce sens, l'ouvrage expose très clairement sa méthodologie et fait même un point sur la recherche, distinguant trois directions en ce qui concerne la validité d'une interprétation : validité à travers l'oeuvre elle-même, renvoyant à Eco, validité à travers la formation de communautés d'inteprétations (Fich) et validité à travers la volonté de l'auteur (ce qui mène aux recherches en génétique textuelle).
Si tout ceci est très clairement expliqué, je reste un peu plus circonspect lors de l'analyse de l'oeuvre elle-même. La première partie s'intéresse à une recherche généticienne et la seconde aux différentes interprétations. Si la structure semble intéressante, les deux cas laissent souvent la porte ouverte à la surinterprétation. C'est particulièrement visible dans la seconde où, malgré la définition d'interprétation "paranoïaque" et en relevant la difficulté d'une proposition à faire système au sein du film (finalement la proposition d'Eco apparaît toujours en fond des analyses proposées), un choix est opéré dans les théories proposées et on s'éloigne très vite d'une réflexion sur les communautés d'interprétations.
Mais ce point est défendu par l'auteur qui, à travers des outils issus de la psychanalyse, défend l'idée de surinterprétation : cela permettrait de faire sortir l'oeuvre d'une simple analyse redondante qui n'aurait pour but que d'appuyer plus encore le message qu'elle veut faire passer. La surinterprétation s'applique alors à des oeuvres dont le contenu n'est pas entièrement déterminé (où la fonction de certaines scènes, de certains objets, de certains éléments de récits peuvent semblent flou ; où on peine à comprendre leur rôle). Malheureusement, cette position a une double conséquence selon moi : d'une part, c'est restreindre la surinterprétation à des éléments indéterminés. Alors qu'il me parait tout à fait pertinent de détourner le but d'une scène déterminés sans pour autant entrer dans la surinteprétation en troquant les outils de la psychanalyse avec ceux des sciences sociales. La vie d'Adèle est un cas d'école : le film étant clairement centré sur la question de la lutte des classes, il est facile de l'en détourner pour interroger sa représentation du lesbianisme.
L'autre défaut me semble être justement cet argument d'une surinterprétation permettant d'échapper la simple visée de "mettre en évidence de manière redondante les significations vers lesquelles l'oeuvre nous mène de toutes façons.". N'est-ce pas justement la définition donnée à la surinteprétation et dont la tentation serait à éviter ? Au " pourquoi ", cet argument répond un simple "pourquoi pas ?"
Ce "pourquoi pas" ne convainc pas.


Reste que l'ouvrage réussit une excellente introduction et offre une analyse méthodique de la matière génétique de Shining. C'est aussi un des rares ouvrages que je vois mobiliser certains outils freudiens et qui me semble méthodologiquement tenir la route. J'ai en général une grande méfiance face aux outils psychanalytique mais force est ici de trier le bon grain de l'ivraie : appliqué à l'analyse de Shining, ces outils, notamment contextualisé avec l'influence du concept d' "inquiétante étrangeté" me semble très pertinent. Les outils qui permettent ensuite la surinterprétation et qui concluent l'ouvrage sur une défense de l'exercice me convainquent cependant beaucoup moins.

LeCactus
7
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le 19 mars 2021

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