Incontournable Août 2022
Après ma lecture largement appréciée du roman québecois "Cyndi et moi", de Sandra Dussault, voilà que découvre un sympathique roman qui se trouve dans une veine similaire. Comme il s'agit d'un roman américain, on ne s'étonnera pas de trouver le genre de héro qui vit un rêve façon Cendrillon et la fin en crescendo grandiose assez typique lui aussi de la littérature USA, mais sur plusieurs plans, ce roman mérite votre attention.
Michael Pruitt, dit "Mikey", a 12 ans et son âge n'empêche en rien de chercher activement à devenir entrepreneur. C'est à travers le jargon de l'entreprenariat qu'il nous raconte comment son entreprise a prit une tangente insoupçonnée. En effet, il se fait approcher par Julian Vasquez, un étudiant du niveau Junior Hight School tout lui, âgé de 13 ans. Julian veut devenir Drag-Kid et a même déjà son nom de scène: "Coco Caliente, prêtresse de la folie et du chaos". Il a besoin d'un agent. Michael, qui n'a pas la moindre expérience en gestion artistique et se nourrissant surtout de ce qu'il peut glaner sur Youtube, va devoir trouver un premier contrat pour sa star vedette. Devant sa nouvelle vocation, le jeune homme va même faire de vrais auditions, en vue de gagner le concours de talent de son école. Une pelletée de jeune talents, pour la plupart des atypiques au même titre que lui et ses amis, vont s'ajouter à ses clients. S'il peut compter sur son conseil administratif ( ses parents) et partiellement sur sa diabolique petite soeur ( et son chat Proutprout, un chat rempli de flatulences) , Michael doit cependant composer avec un trio malfaisant. Tommy et ses deux sbires ont le malin plaisir de le traiter de divers noms, dont "Mikey le gay". Un surnom plutôt indélicat pour un garçon qui est effectivement gay, mais encore mal-à-l'aise à le dire ouvertement. En même temps, avec le beau Colton et ses sourires ravageurs et ami de Julian, Michael se découvre une seconde grande motivation dans la vie.
On a rarement des romans sur le thème de l'entreprenariat - sauf ces enfants qui font des kiosques de vente de limonade peut-être? - Alors en voir un ici me réjouit. le dernier roman que j'aie lu sur le sujet était la série "Pétronille Inc". Ici, on a pas seulement un jeune qui se prend très au sérieux dans son rôle de président d'entreprise, on a tout le vocabulaire, démarches et projets à l'appui.
Ces éléments jouent d'ailleurs un grand rôle dans l'humour du roman. Si Michael a un humour très pince-sans-rire, son grand sérieux dans son approche est aussi drôle. Il va même jusqu'à nommer les membres de sa propre famille avec des titres pompeux: Trésorier, secrétaire exécutive, coordonnatrice de talents junior, etc. On retrouvera aussi de nombreux rappels structurels tels que des conseils ( à lui-même), ses constats ponctués du mot "Bizarre" et les expressions propres aux personnages, comme pour Monsieur Arnold avec ses "Ma patience a des limites".
Dans les représentations, on fait fort. Certains trouveront qu'elles sont trop nombreuses, mais moi je dirais que nous en avons jamais assez. Nous avons Julian, de forte taille, hispanique, gay et Drag-Kid; Trey, qui a deux mères et est d'ethnie afro-américaine; Dinesh, qui est indien ( de l'Inde, et non pas "autochtone"); Brady, qui est en chaise roulante; Colton, gay également et ayant une maman toxicomane; M. Arnold, qui souffre d'une dépression et même Tommy Jenrette, la canaille de l'histoire, est un jeune sportif qui a un talent pour les arts. Un élément que j'ai beaucoup apprécié était le fait que pour une fois, le parent curieux des histoires de coeur de son fils était le papa, alors que la mère était le parent pragmatique. Les parents de Michael sont de l'or en barre. Ils ne sont pas souvent présents, mais quand ils le sont, ils sont ouverts, impliqués, présents et complices des projets de leur enfant. Mieux, ils représentent un couple sain, qui savent se parler et se consulter. Une belle représentation parentale, en somme. Même son de cloche pour le grand-papa de Michael.
Puisque nous sommes dans les personnages, autant vous mentionner l'étonnante Lila Pruitt. "Satan", "l'enfant du diable", "Méchant qui tente de conquérir le monde", les appellations et adjectifs diaboliques pleuvent à son endroit. Lila est maligne et profite même de son statut de cadette mignonne de 9 ans comme bouclier ou comme justifications. Un air ténébreux d'autant plus cocasse qu'elle adore les paillettes, Hello Kitty et l'encre violette. Mais quand ça compte, Lila est une véritable alliée. Ce qui m'amuse, c'est que le profil "ténébreux malicieux" est très souvent attitré aux personnages masculins ( en témoigne les centaines de romans sentimentaux avec un Ténébreux-Sexy-Arrogant-Sublimement-beau), alors ça me fait sourire d'en voir enfin "une", même âgée de 9 ans.
Julian, alias Coco Caliente, prêtresse de la folie et du chaos ( quel nom!) est aussi très important dans le récit. Comme on le mentionne dans "Cyndi et Moi", le Drag-Queen fait ressortir un pan de soi, un complément de sa personnalité, qui nous fait sentir fort, déjanté et audacieux. Un concept qu'on veut bien croire quand on voit Julian, qui n'a pas grand chose pour lui, si l'on se fit aux conventions sociales américaines, mais qui devient littéralement une diva en "mode Coco". Enrobé, il passe pour un "gros". Efféminé, il passe pour un gay. Hispanique, il est victime d'une forme de discrimination. En fait, ce qui est paradoxal, c'est qu'il est en effet tout cela, mais au fond, en quoi est-ce une tare? Julian a également un père conservateur, qui a peur que son garçon se fasse rire de lui, ce qui lui sert d'excuse pour l'empêcher de devenir Drag-Kid. Mais grâce à la magie du show, il va changer d'avis. Ah, le rêve américain....
Pour ce qui est de Colton, je lui sied gré de ne pas être la petite caricature du joli mâle parfait. Ce qui attire Michael est plutôt son sourire éblouissant, ses bretelles bleues qui lui donne un look sophistiqué et ses taches de rousseurs. Mais au-delà des considérations physiques, on comprend que Michael apprécie la personnalité humble et lumineuse de Colton, un garçon ouvert d'esprit et intègre. On a de beaux modèles masculins dans ce roman, franchement, peut importe l'âge.
Un dernier mot sur le thème LGBTQ+: Dans l'histoire, il est question pour Michael d'être "le pire gay du monde". Cette phrase peut laisser perplexe, mais elle permet d'interroger le lecteur: Qu'est-ce qu'être un "vrai" gay? Il y a des clichés et des stéréotypes tenaces entourant les personnes gay, alors quoi de plus normal qu'il y en ait également pour les personnages? Est-ce que tous les gay et membres LGBT ont le devoir d'être "fier" et de s'identifier ouvertement? Est-ce que les gay peuvent être des gars et des filles qui ne sont pas à l'opposé de leur genre ( gars éffiminés -filles masculinisées)? Est-ce que même les gays peuvent avoir de la difficulté à percevoir l'homosexualité des autres- le fameux "gaydar"? Cela pourra sembler banal, voir évident pour certains, mais ces questions ne le seront sans doute pas pour d'autres. La diversité au sein même des personnes LGBT reste un enjeu pour nombre d'entre eux, au même titre que la diversité chez les hétéros.
Côté plume, le ton est sérieux, mais comique en même temps, employé au "je". Parfois Michael, notre narrateur, y va de ses constats et commentaires, en nous les envoyant directement. le niveau de langue est tout-à-fait acceptable pour de la littérature intermédiaire, avec de nombreuses formules plus pompeuses en raison de la politesse requise dans le monde des affaires. On notera aussi plusieurs références littéraires, surtout à Harry Potter.
La fin, sans la divulgâcher, est en crescendo, comme bon nombre de romans des États-Unis. Une grosse fin heureuse pour tous, avec un show en final, des changements de mentalités, des nouvelles heureuses et même un petit couple de formé. C'est légèrement "too much", pour citer les anglais, mais ça ne rend pas le roman moins bon pour autant, juste très grandiloquent vers la fin. Et puis, je sais que parfois, nos jeunes apprécie les grandes finales heureuses, surtout quand elle concerne un nombre aussi importants de diversités sociales.
Petit détail: On ne change pas les niveaux scolaires d'un système étranger dans un roman étranger, dans les éditions du Québec, mais je constate que les éditeurs français le font systématiquement. Ici, c'est le système américain, alors parler de 4e, alors que c'est le 7ème grade du Middle-School ( ou Junior Hight School), ça porte à confusion. Au pire aller, une simple note en bas de page suffit pour situer le niveau français par rapport à celui des États-Unis.
Pour un roman aussi pétillant, une couverture plus fouillées aurait été appréciée.
Un roman qui se déguste comme un bonbon et se montre aussi pertinent qu'ouvert sur de nombreuses représentations. J'en sourie encore.
Pour un lectorat du troisième cycle primaire, 10-12 ans.